"Non, je n'aime pas te lire ce genre d'histoires. Trouves d'autres livres". Quand j'entends Nora dire cela à sa fille, à la bibliothèque, je lui souris. Elle me dit en fronçant les sourcils : "c'est pas possible de lire ces histoires de princes charmants, ça me sort par les yeux. Cendrillon, la Belle au bois dormant, et gnagnagna et gnagnagna". Le ton qu'elle emploie me fait rire. On se connaît mal. Elle ne sait pas que je tiens ce blog, que ce sujet est important pour moi. Elle ne se doute pas que ça me fait du bien de l'entendre s'exprimer ainsi et tenter de proposer une autre vision du monde à sa fillette de quatre ans.
Quelques jours plus tôt déjà, lors d'une soirée, nous discutions entre femmes. Elle était là. Parmi nous, une jeune maman que l'on n'avait jamais vue. Un homme arrive avec une petite de deux ou trois ans accrochée à sa main. Il dit à cette petite : "tiens, regarde maman est là. Tu vois, il y en a plein des mamans ici, tu n'as pas besoin de me coller". J'ai dégluti discrètement. Nora m'a dit à l'oreille : "mais qu'est-ce que c'est que ce type ? Si mon mari m'avait fait un plan comme ça, je lui aurais arraché les yeux".
Lors de nos toutes premières rencontres, alors que nous marchions à plusieurs, j'avais déjà senti la conscience avisée de Nora. J'avais suggéré que nous prenions une autre direction, car il y avait "trop de présence masculine devant nous". Nora m'avait alors raconté une conversation qu'elle avait eue avec un de ses amis, un "militaire" avait-elle cru bon de préciser. Il ne voulait pas comprendre ce qu'elle lui disait. "Il ne me croit pas quand je lui dis que toutes les femmes ont tous leurs sens en éveil quand elles sont dans la rue. On sait toutes ce que ça veut dire de changer de trottoir, de regarder loin devant nous pour anticiper ce qui pourrait arriver, de repérer les endroits où on va pouvoir traverser la rue facilement. Il dit que j'exagère, il ne se rend absolument pas compte". Elle ajoute : "il a fallu que je lui explique l'effet de meute et ce que ça génère chez nous. Je lui dis qu'à plusieurs, les mecs sont sans filtre et humilient les femmes qu'ils convoitent sans même s'en rendre compte, juste pour faire les malins entre copains. Il me répond que j'en fais des tonnes. Il ne comprend pas. Ils ne comprennent pas. Ça m'énerve".
On se connaît mal encore Nora, mais je t'ai carrément à la bonne.