jeudi 29 novembre 2018

L'avortement, cet acte que l'on passe sous silence

Nous sommes en 1995, je suis à l'Université. Je veux devenir journaliste et m'abreuve de tout ce qui peut nourrir cette ambition. Entre autres choses, chaque semaine, je regarde l'émission Arrêt sur images de Daniel Schneidermann, qui décrypte les médias, analyse les discours. C'est là que je découvre Colombe Schneck, qui travaille pour cette émission. Cette jeune femme m'étonne. Je la trouve brillante, elle s'exprime avec clarté, utilise des mots précis. Colombe Schneck est une intellectuelle, elle est jeune, sérieuse. Elle m'intéresse. Elle fait vraisemblablement partie de mes rôles-modèles, sans que je l'identifie comme telle.

Les années passent, je la suis de loin. Je sais qu'elle publie des récits. Je n'en lis aucun - pas par volontarisme de la bouder, juste parce que ça ne se présente pas - mais je sais qu'ils existent. Elle suit son petit bonhomme de chemin. Et puis, fin 2014, Arte diffuse son documentaire, "Femmes sans enfants, femmes suspectes", un film très réussi, plein de respect pour les femmes dont elle tire le portrait. A nouveau, elle s'y exprime avec précision, elle pèse ses mots, ne parle pas à la légère. Ce qu'elle dit fait sens. Et les histoires qu'elle raconte me touchent. Il en est question ici : Les femmes font des enfants... ou pas.



Et puis hier, à la bibliothèque, mes yeux tombent sur ce livre qu'elle a publié en 2015 et que jusqu'ici, pour le coup, j'avais choisi de ne pas lire car je ne m'y sentais pas prête : "Dix-sept ans". Elle y raconte comment, trente ans plus tôt, alors qu'elle va passer le bac dans quelques semaines, elle se découvre enceinte. J'ai emprunté le livre et, dans l'après-midi, alors que mes enfants jouaient à côté de moi, je l'ai dévoré, d'une traite (il est court, certes). C'est l'histoire d'une jeune fille "de bonne famille", à qui tout sourit, qui croque la vie à pleines dents, et qui, par insouciance, se retrouve enceinte.

"L'avortement, ce n'est pas un beau sujet de littérature. C'est une guerre que l'on traverse, entre la vie et la mort, l'humiliation, l'opprobre et le regret. Non, ce n'est pas un beau sujet", écrit-elle. Et pourtant, elle raconte. Elle se rappelle comment elle a annoncé la nouvelle à ses parents, comment elle a mis son petit ami devant le fait accompli : elle allait avorter, la question de garder le bébé ne se posait même pas. "Je n'ai aucun doute. Il n'y a pas d'hésitation à avoir. Il n'y a pas d'enfant à venir".



Surtout, Colombe Schneck raconte combien elle s'est enfermée dans le silence sur cet évènement. Seuls ses parents et son petit ami savaient. A ses amis, elle ne dit rien. Elle écrit : "je ne veux pas partager mon chagrin". Une fois l'IVG passée, elle oubliera, rangera cet accident de parcours dans un tiroir reculé de sa mémoire et n'en parlera pas, à personne, jamais. Mais dans ce récit, elle questionne ce silence. "Pourquoi les femmes elles-mêmes se taisent-elles ? J'ai honte. Peut-être y a-t-il quelque chose de sale dans l'avortement ?"

Ce questionnement a fait écho en moi. Je n'ai jamais avorté mais il y a nécessairement des femmes de mon entourage qui ont eu à le faire. Comment se fait-il que je ne le sache pas ? Je n'ai connaissance que d'un cas : une amie, il y a une vingtaine d'années. Je n'avais d'ailleurs ni su l'aider, ni la soutenir comme j'aurais du le faire, ni trouver les mots. Elle aussi, en tout cas, avait choisi d'oublier, à tout le moins de faire silence. Mais pourquoi fait-on silence sur ce sujet ? En France, 210.000 IVG sont pratiquées chaque année.

Au moment de la sortie de son livre, Colombe Schneck accordait cette courte interview filmée où elle explique pourquoi elle a fini par raconter son histoire. Elle explique : "en tombant enceinte, je suis rattrapée par mon corps de fille. Tout d'un coup, je ne suis plus l'égale des garçons. Je suis enceinte et je dois me débrouiller avec ça".  



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