jeudi 9 janvier 2020

Où il est question d'adolescence, de sexualité et la prédation

Hier, je lisais ce petit roman écrit par Colombe Schneck en 2007, "Sa petite chérie". J'avais deux heures de lecture devant moi, et comme j'aime bien la plume de cette femme, ce livre était parfait. Bref. Dans les premières pages - elle raconte son adolescence -, elle écrit : "J'avais quatorze ans et l'apparence sage. Je ne fumais pas. Je n'allais pas au café après les cours. J'écoutais pourtant avec fascination Gabriel Matzneff raconter à "Apostrophes" ses amours pour des filles de mon âge. Je tentais d'imaginer de façon plus ou moins précise ce que cela signifiait. (...) Je n'avais pas besoin de vivre les histoires d'amour. Elles étaient dans les livres et au cinéma et dans les récits racontés par ce Matzneff qui paraissait certain du plaisir qu'il aurait pu me procurer".

A aucun moment du reste du roman Colombe Schneck ne reparle de Matzneff.
En toute honnêteté, jusque fin décembre 2019, je n'avais moi-même absolument jamais entendu parler de cet homme. J'ai dix ans de moins que Colombe Schneck, ceci explique peut-être cela. 

Mais remettons les choses dans leur contexte : elle écrit son roman en 2007. Elle parle de son adolescence. Elle a 14 ans en 1980, grosso modo. En 2007, elle glisse dans son roman ce qu'elle sait depuis toujours à propos de cet homme. Elle écrit donc que Matzneff "paraissait certain du plaisir qu'il aurait pu me procurer". En 2007, alors que Matzneff est pour ainsi dire tombé dans l'oubli, Colombe Schneck se rappelle encore de lui, elle convoque le souvenir de ses passages à la télévision et l'écrit dans son roman.  Comme ça, furtivement, dans un paragraphe.



Lire cette phrase-là précisément quelques jours après avoir lu par exemple que Frédéric Beigbeder, pour ne citer que lui, pensait que Matzneff était simplement mythomane - "après tout, les gens qui écrivent transforment la réalité", confie-t-il à Philippe Vandel sur Europe 1 ce 8 janvier - est terrifiant. C'est désormais établi : dans les années 80, certains avaient dénoncé le pervers Matzneff, parmi lesquels l'auteur Christian Lehmann qui décrit Matzneff comme un "ogre", un "prédateur", un "masculiniste dégueulasse qui se présente comme un amant magnifique mais déteste en fait les femmes dès qu’elles ont des poils et une opinion". Mais Matzneff est adulé, on salue sa plume, il campe l'artiste maudit par excellence. Il traverse les décennies sans que rien ne lui arrive, entouré d'une cour du monde de l'édition et des médias qui loue ses talents d'écrivain.

Comment se fait-il qu'on l'ait laissé faire ? Et que soudain, parce que Vanessa Springora publie "Le consentement" où elle raconte sa relation sous emprise avec cet homme alors qu'elle était adolescente, chacun semble sortir de sa léthargie ? Comment, alors qu'une adolescente de 14 ans regardant Matzneff à la télé était capable de mesurer qu'il y avait un souci avec cet homme, le monde de l'édition et celui de la justice ne se sont pas soulevés collectivement ? Bernard Pivot dit aujourd'hui que dans les années 70 et 80, "la liberté passait avant la morale". Mais de quelle liberté parle-t-on ? Celle d'avoir des relations sexuelles avec des enfants ? La liberté de ces enfants, on en parle ? Y pense-t-on seulement ?

Si Matzneff est coupable, il n'est pas le seul. Que le monde des lettres se réveille, qu'il mesure l'ampleur de ce qu'il a laissé passer. Les éditions Gallimard ont annoncé l'interruption de la commercialisation des neuf tomes du journal de Matzneff. La belle affaire ! Le mal est fait. Au nom de quoi la maison Gallimard a-t-elle publié les livres de cet homme ? Quand bien même il aurait une plume formidable, comment laisser passer de tels écrits qui vantent les relations sexuelles avec des enfants ? L'oeuvre - s'il convient d'utiliser ce terme - de Matzneff n'est qu'une ode à la pédocriminalité. Que sont ces enfants devenus ?


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