mardi 11 décembre 2018

Elle s'appelait Maria Schneider

Que peut se permettre le cinéma ? Quelle image est véhiculée des femmes ? Qu'y transmet-on ?
Il y a quelques jours mourait le réalisateur italien Bernardo Bertolucci. Je ne sais pas grand-chose de lui, j'ai vu peu de films dont il est l'auteur. Je n'ai pas vu, par exemple, son "Dernier tango à Paris" et à dire vrai, je ne découvre la polémique autour de ce film qu'à ce moment-là. Alors je me renseigne et je lis. Notamment ce bouleversant récit de Vanessa Schneider, paru en cette rentrée de septembre 2018, "Tu t'appelais Maria Schneider". De Vanessa Schneider, je sais pas mal de choses. Elle est journaliste et cela fait une vingtaine d'années que je suis son travail de loin en loin. Comme Colombe Schneck (dont il était question ici : L'avortement, cet acte que l'on passe sous silence, elle me renvoie l'image de la journaliste qui ne parle pas à tort et à travers, qui est cultivée et a un regard affûté sur le monde dans lequel elle évolue. Mais j'ignorais tout de son histoire familiale, j'ignorais qu'elle était la cousine de Maria Schneider. Et j'ignorais jusqu'au nom de Maria Schneider.

Maria Schneider

Bien sûr, quand j'ai "googlisé" Maria, j'ai de suite reconnu ce visage. Mais ça n'allait pas plus loin. Dans "Tu t'appelais Maria Schneider", je découvre une femme abîmée. Son enfance n'a pas été particulièrement heureuse. Son père, l'acteur Daniel Gélin, ne l'a pas reconnue. Elle est mal-aimée par sa mère qui la chasse alors qu'elle n'est qu'adolescente. Maria trouve refuge chez son oncle et sa tante, les parents de Vanessa, laquelle n'est alors qu'une enfant. Vanessa grandit en suivant le spectacle de la vie  chaotique de sa grande cousine, laquelle entre peu à peu dans le monde de la nuit parisienne, et dans celui du cinéma. Quand elle tourne dans "le Tango", elle n'a que 19 ans. A l'époque, on atteint la majorité à 21 ans. Elle est encore une enfant. Ce film va la détruire. Et plus précisément, une scène où la tête d'affiche, l'acteur américain Marlon Brando, utilise du beurre comme lubrifiant pour sodomiser la jeune fille. Cette scène n'était pas prévue dans le scénario et on n'avait pas jugé bon de prévenir Maria de ce qui allait se passer. Il s'agit donc bel et bien d'un viol. Bernardo Bertolucci et Marlon Brando, au fil du temps, se sont souvent renvoyé la balle sur le sujet et on ne saura jamais, au final, lequel des deux a véritablement été à l'initiative de cette scène. Mais il y a quelques années, Bertolucci a justifié les choses ainsi : "Je voulais qu'elle réagisse comme une fille, pas comme une actrice. Je voulais qu'elle se sente humiliée. je ne voulais pas que Maria joue l'humiliation et la colère, je voulais qu'elle ressente la colère et l'humiliation".



Mais Maria est une enfant, elle n'a pas d'avocat, ne connaît pas ses droits et ces images seront diffusées comme si de rien n'était, altérant à jamais l'image que l'on aura d'elle. Par la suite, les réalisateurs auront une fâcheuse tendance à souhaiter la faire tourner dans des films où elle camperait le même genre de rôles. En 1983, dans l'émission Cinéma cinémas, Maria parle de son métier : "c'est un métier très très dangereux, très, que je ne conseillerais à aucune jeune personne de faire". Puis, elle assure refuser de nombreux rôles. "Il n'y a pas beaucoup de rôles de femmes dignes. On fait toujours exister une femme par rapport à un homme, par rapport à un couple", observe-t-elle. Et d'ajouter : "Comme partout, ce sont les hommes qui ont le pouvoir au cinéma". Maria Schneider a une conscience très claire de la place que l'on réserve aux femmes et elle exècre l'image que l'on a d'elle. Elle sombre dans la drogue. Elle a le corps entièrement marqué par les piqûres qu'elle s'inflige, elle est souvent internée et chaque fois qu'on la pense sortie d'affaire, elle replonge. Les tournages se font de plus en plus rares, parce qu'elle refuse désormais les scènes de nu et parce que, la drogue aidant, la faire tourner devient compliqué. Toutefois, au total, Maria Schneider aura été à l'affiche de 58 films, une filmographie "oblitérée par ce rôle maudit", selon sa cousine Vanessa.

Mal-aimée dans son enfance, violée face caméra, Maria Schneider s'est détruite à petits feux, à coup de seringues, d'alcool, lasse de devoir se battre continuellement. Elle est morte en 2011. Elle avait 58 ans.


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