Il y a quelques années, alors que je l'interviewais sur l'utilisation - ou plutôt la non-utilisation - du préservatif dans le cinéma pornographique, l'actrice et réalisatrice Ovidie m'avait décrit un secteur qui ne se souciait pas assez de la santé de ses acteurs, ni de surcroit de l'image renvoyée aux spectateurs de ses films. En n'utilisant pas de préservatif parce que ce n'est pas attractif visuellement, les acteurs se mettaient en danger et dans le même temps, ne faisaient pas oeuvre de pédagogie sur le sujet. Par souci de mimétisme, il y avait fort à parier que les jeunes gens désireux de reproduire les scènes vues dans des films porno n'allaient pas souhaiter utiliser de préservatifs non plus. Ce faisant, on en rajoutait une couche sur le thème de la soumission des femmes qui devaient, grosso modo, accepter de se mettre en danger en s'adonnant à un acte sexuel non protégé.
Mais Ovidie, en tant que militante féministe pro-sexe - ce courant de féministes qui revendique que les femmes ne soient plus des objets sexuels mais des êtres sexuels, dans le sens politique du terme - a beau être une actrice pornographique qui ne se cache pas, n'en demeure pas moins une femme de conviction pour qui il est plus que temps que les femmes se libèrent de l'emprise des hommes.
Ovidie - Crédit photo : Le Monde |
Dans un film documentaire qu'elle a réalisé en 2015, elle s'intéresse à l'évolution de la sexualité et du rapport au corps. Dès le propos introductif de "A quoi rêvent les jeunes filles?", elle annonce la couleur : en 6 ans dit-elle, "l'humanité a regardé l'équivalent de 1,2 millions d'années de videos pornographiques (...). Ce qui était si sulfureux est soudainement devenu banal", généralisation d'internet à l'appui. Cette banalité, cependant, se joue alors que "la révolution sexuelle n'est vieille que de 40 ans. Et 40 ans, c'est trop court pour déconstruire des siècles de domination masculine". Si bien que le climat du cinéma porno s'en ressent, à l'image de la sexualité dans "la vraie vie". Ainsi, rapporte le sociologue Michel Bozon, encore aujourd'hui, la représentation dominante en matière de sexualité est la suivante : les garçons ont des besoins sexuels mais les filles, elles, ne doivent accéder à la sexualité que si elles sont amoureuses. Il va même plus loin : en soi, la sexualité n'est pas supposée intéresser les jeunes filles. On en est encore à penser qu'elles "échangent de la sexualité contre de l'amour, contre du couple". De son point de vue, le discours continue d'être que les filles doivent retenir leur mec, pimenter le couple, intéresser leur partenaire, via leurs pratiques sexuelles.
Ovidie en est sûre : "Nous sommes passées sans transition d'une interdiction à nous intéresser au sexe à une injonction à devenir des amantes parfaites. Pour réussir notre vie, nous devons impérativement réussir notre sexualité". A tout le moins : satisfaire son partenaire. La fellation - "chose que l'on n'avait pas le droit de faire avant et qu'on est obligée de faire maintenant (...). Il y a un déplacement de la norme", estime une jeune femme -, la sodomie deviendraient des pratiques sexuelles basiques. Les jeunes femmes tenteraient l'expérience homosexuelle pour se rendre "intéressantes" aux yeux de leur petit ami. De même, l'épilation intégrale des jeunes filles et le recours à la nymphoplastie - acte chirurgical de réduction des petites lèvres - sont des pratiques plus que courantes chez les jeunes femmes. Quid du désir et du plaisir dans tout ça ? "Avoir du plaisir est secondaire, il faut avant tout être présentable", dénonce Ovidie. La norme, toujours la norme.
Clarence, auteure du blog Poulet rotique, résume la situation :"Tu es censée adorer la sexualité, avoir un rapport très sain avec, être hyper à l'aise et bien dans ta culotte et en même temps, il faut que tu gardes une part de maman parce que sinon il ne reste que la pute".
Edit du 15 /11/2017 : je vous conseille cet article paru dans les colonnes du Monde cette semaine et qui m'avait échappé : Les fantasmes autour du "Viagra féminin"
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