mardi 1 décembre 2020

Télétravail : les leurres de la visio

C'est devenu un sujet de blague de télétravailleurs. Il y a six mois, on n'en parlait pas. Ce sujet, finalement, n'existait pas. Comment les gens travaillent depuis chez eux ? Prennent-ils la peine de s'habiller ? Est-ce le bazar autour d'eux ? Lors de visioconférences, on entre dans l'intimité des gens. On observe ses collègues sous un jour différent. Les hommes pas rasés, en tee-shirt ou sweat à capuche; les femmes pas maquillées ni apprêtées. On découvre parfois la famille de ses collègues, le petit dernier qui a oublié la consigne de ne pas venir déranger ses parents pendant leur réunion et qui entre dans la pièce sans prévenir, en chantant ou criant, de préférence. Sans compter ces collègues qui paramètrent Skype, Zoom ou je ne sais quelle application utilisée pour que justement, leur intimité soit préservée : ils floutent le fond d'écran ou au contraire, incrustent une photo d'un paysage idyllique ou encore, à l'inverse, une photo de leur vrai bureau sur leur lieu de travail, pour "faire sérieux".

La Une du New Yorker, par Adrian Tomine

Quand on télétravaille, doit-on faire comme si on travaillait dans l'immeuble de bureaux où siège son entreprise ou au contraire, peut-on se permettre de jouer la carte de la sincérité en se montrant "au naturel" ? Dans le fond, cela revient à dire que lorsqu'on est au bureau, on n'est pas naturel. On n'est pas vraiment soi, on joue un rôle, on enfile un costume. Si l'on télétravaille, on est donc à la maison, dans le cadre où l'on est qui l'on est vraiment, on est vraiment soi. Qui est-on lorsque l'on est face à son ordinateur, en réunion avec des collègues, depuis chez soi ? Doit-on enfiler son costume de travailleur ou peut-on s'autoriser à rester soi ? Il y a manifestement plusieurs écoles sur le sujet. Et ce que cela nous enseigne, c'est que celui ou celle qui travaille est différent de ce qu'il ou elle est dans la vie privée. Cela nous aide à prendre conscience qu'au travail, une injonction nous oblige à nous fondre dans le moule, à être tous identiques. Quand chacun reprendra sa vie d'avant, est-ce qu'il sera facile à tous de retrouver ces carcans du monde de l'entreprise ? Ou bien, au contraire, l'année 2020 aura-t-elle servi à assouplir ces règles tacites, ces non-dits qui contraignent ? 

Le dessinateur américain Adrian Tomine montre bien cette forme d'hypocrisie ou de mensonge à la Une du journal The New Yorker, montrant avec humour cette femme bordélique, chez elle, qui simule, en visioconférence - ou peut-être plutôt apéro virtuel avec ses amis, vu le verre qu'elle a à la main -, la perfection telle qu'attendue d'elle par le monde extérieur. Voilà un intéressant regard sur la dichotomie évidente entre notre moi véritable et celui que l'on propose à voir au monde extérieur, que ce soit en vrai ou comme cette année, à travers les caméras de nos outils connectés. Plus près de nous, La Frisée propose aussi son regard en dessin sur le travail de bureau au temps du confinement. C'est plus léger que le travail de Adrian Tomine, mais tout aussi parlant :

Reconfinement #2, par La Frisée, dont le travail peut être suivi ici : Journal d'une frisée
 
Lire aussi :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire