lundi 5 octobre 2020

Mileva Marić, femme de...

Derrière les grands hommes, se cachent de grandes femmes, dit l'adage. Connaissez-vous Mileva Marić ? Elle fût l'une des premières femmes à étudier la physique et les mathématiques à l’École polytechnique de Zurich, à la fin du XIXè siècle. Élève brillante, isolée, loin de sa famille restée en Hongrie, au milieu d'une promotion entièrement masculine, désireuse de se faire sa place et de prouver sa valeur, elle fût vite remarquée par un camarade de classe, farfelu à souhait, qui jeta son dévolu sur elle et la courtisa longuement. Les deux étudiants travaillèrent ensemble leur pensée scientifique et Mileva finit par tomber sous le charme de ce jeune homme atypique, Albert Einstein.


Dans un monde idéal, les tourtereaux auraient pris le temps de faire les choses dans l'ordre : finir leurs études, trouver un emploi, se marier et ensuite faire des enfants. Mais nous sommes au passage du XXè siècle et la contraception n'existe pas : Mileva tombe enceinte et se voit contrainte d'abandonner ses études et de retourner chez ses parents pour accoucher, afin d'éviter que la réputation d'Albert s'en trouve entachée, qu'il ne puisse obtenir son diplôme et entamer sa vie professionnelle. Première déconvenue pour Mileva.

Les deux jeunes scientifiques finissent par se marier, et travaillent ardemment. En 1905, ils font publier plusieurs articles d'importance dans des revues scientifiques. Ils y ont travaillé ensemble mais seul le nom d'Albert Einstein figure. Seconde déconvenue. Selon Marie Benedict, autrice de "Madame Einstein" (Presses de la Cité, février 2018), Mileva découvre la supercherie une fois les articles publiés seulement. Albert ne l'avait pas prévenue. Débute alors la descente aux enfers pour le couple. Albert enferme psychologiquement sa femme. Il veut seul s'attirer les lauriers de leurs découvertes communes. Il ne la fait plus participer à ses travaux, la réduit à son rôle de mère au foyer, il la trompe. Il est l'ange des rues et le démon des maisons, comme disait ma grand-mère. Mileva est humiliée et bafouée. 

Elle était un génie des sciences et particulièrement des mathématiques - là où Einstein était plus faible -, elle aurait pu permettre des avancées importantes dans les sciences du début du XXè siècle mais son mari, qui se targuait pourtant d'être "bohème" dans ses jeunes années, l'a peu à peu réduite à néant. Privée de diplôme - n'ayant pu achever ses études compte tenu de sa première grossesse -, privée de l'aura que lui auraient valu les articles de 1905 cosignés de sa main, Mileva n'a plus aucun prestige, plus aucune valeur. Mileva et Albert finiront par se séparer pendant la première guerre mondiale, et s'ensuivra pour elle une existence sans recherches scientifiques. Elle gagnera sa vie en donnant des cours de sciences.


La question qui se pose encore et à laquelle Marie Benedict ne répond pas est celle-ci : pourquoi Albert Einstein a-t-il tu les talents scientifiques de son épouse ? Pourquoi ne pas s'être appuyé officiellement sur ses compétences ? Tous deux auraient pu questionner ensemble bien d'autres sujets. Pourquoi, alors qu'il soutenait les travaux de Marie Curie, ne le faisait-il pas pour son épouse ? Craignait-il qu'elle ne lui fasse de l'ombre ? Considérait-il qu'elle était plus brillante que lui ? Avait-il peur de n'être vu que comme l'époux de Mileva Marić ? Est-ce donc la soif de pouvoir qui l'a poussé à nuire ainsi à la carrière possible de sa femme ? Et puis quid de leurs amis scientifiques, à l'instar de Marcel Grossmann ? Pourquoi, alors qu'ils connaissaient le génie de Mileva, ne lui ont-ils pas tendu la main ou n'ont-ils pas ramené Albert à la raison ?

Enfin, je m'interroge : si la contraception avait existé, quelle vie aurait eu Mileva ? Sans doute aurait-elle pu passer son diplôme et alors les rapports de force entre elle et Albert s'en seraient trouvés modifiés. Peut-être alors aurait-elle eu une existence où son génie et son talent auraient pu s'exprimer librement...


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