Le dépassement de soi. La quête du pouvoir. La volonté de gravir des sommets, au sens strict comme au sens figuré. La soif d'argent, de reconnaissance sociale. Quand on évoque l'ambition, c'est à toutes ces choses que l'on pense. Et l'on vit à une époque où il est de bon ton d'être ambitieux, d'avoir envie d'aller plus loin, plus fort, de viser les étoiles, d'être compétiteur, de faire mieux que les autres, toujours. Quitte à en écraser quelques-uns, en chemin.
Mais faire preuve d'ambition et s'afficher comme tel, c'est aussi partir du principe que la vie que l'on mène aujourd'hui n'est pas suffisante, qu'elle ne nous convient pas, que l'on n'est pas heureux ou épanoui ainsi. C'est montrer à ceux qui nous entourent qu'ils ne nous suffisent pas, c'est chercher à tourner le dos au monde d'où l'on vient. En un sens, c'est donc assez dérangeant. Plus globalement d'ailleurs, si l'on regarde l'état du monde - épuisement des ressources naturelles, surconsommation dans bien des secteurs, gaspillages en tous genres... -, on peut établir un lien de cause à effet assez flippant : notre ambition débordante, notre appétit vorace en toutes circonstances induisent un flot d'effets dévastateurs pour notre bien commun qui conduit à notre perte.
A quoi sert donc cette ambition ? Se développe-t-elle dans un état d'esprit altruiste et bienveillant ? Comment se fait-il que dans la conscience collective, l'ambition soit associée nécessairement au principe de gravir les échelons et de gagner plus d'argent, plus de reconnaissance, au détriment du reste du monde ? Que fait-on de ceux qui, comme Hélène, n'ont pour ambition que de "faire de leur mieux pour le bonheur de leurs familles et amis" ? Hélène occupe un poste d'assistante depuis une quinzaine d'années dans une grande entreprise française. Elle adore son job, considère son entreprise avec beaucoup de respect. Professionnellement, elle se sent à sa place, utile, et elle estime que ce qu'elle fait est intéressant. Parce que donc, elle n'a pas d'ambition professionnelle autre que de bien faire son job, là où elle se trouve, elle s'entend dire qu'elle manque d'ambition et pourrait bien un jour se retrouver à pointer à Pole emploi... En d'autres termes, il se trouve des gens pour considérer que si l'on ne cherche pas à gravir nécessairement les échelons de son entreprise, on n'intéresse pas l'entreprise. Il faudrait nécessairement avoir les dents qui rayent le parquet, être assoiffé de pouvoir...
Or l'ambition, ce n'est pas nécessairement cela. C'est donner un sens à son existence, savoir quelle est notre place, où l'on se sent bien, dans notre élément. L'ambition peut tout à faire être de ne pas en avoir, de se contenter de ce que l'on a, de ne pas nuire - "primum non nocere", "d'abord ne pas nuire", ce principe enseigné aux étudiants en médecine - , d'avancer dans la vie à son rythme et selon ses envies. Un autre lien est sans doute d'ailleurs à établir avec ce que l'on appelle désormais communément les "bullshit jobs", "les jobs à la con", ces emplois vides de sens qui, s'ils n'étaient pas occupés, ne feraient pas défaut à l'entreprise. Le pire, c'est que ces emplois sont souvent occupés par des personnes ayant fait de brillantes études, de jeunes gens a priori ambitieux et pétris de bonnes intentions. De plus en plus, observe-t-on, ils se détournent de ces emplois pour aller occuper des postes souvent moins payés mais qu'ils jugent plus utiles à la société. Au fond, l'ambition ne se niche-t-elle pas là ? Que puis-je faire d'utile pour la société ?
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