vendredi 28 février 2020

L'histoire de l'homme et de l'artiste, encore...

Ce soir devrait se tenir la cérémonie des César. J'écris sciemment "devrait" car on n'est pas à l'abri d'un énième rebondissement qui mettrait à mal ce que d'accoutumée on qualifie de grande fête du cinéma. Habituellement, c'est guilleret, plein de bienveillance, de beaux sentiments. Cette année, ça sent la rancœur, la colère et la consternation à plein nez.

Roman Polanski, nominé 12 fois pour son "J'accuse", a annoncé qu'il ne viendrait pas à la cérémonie. Dans une déclaration diffusée un peu plus tôt cette semaine, il écrit : "Le déroulé de cette soirée, on le connaît d’avance. Des activistes me menacent déjà d’un lynchage public. Certains annoncent des démonstrations devant la salle Pleyel. D’autres comptent bien faire une tribune de combat contre une gouvernance décriée. Cela promet de ressembler davantage à un symposium qu’à une fête du cinéma censée récompenser ses plus grands talents." L'homme est modeste... Il poursuit : "Quelle place pourrait-il y avoir, dans ces conditions déplorables, pour un film dont le sujet est la défense de la vérité, le combat contre l’injustice, la haine aveugle contre l’antisémitisme ?"

La défense de la vérité, tout un programme pour celui qui a préféré fuir son pays, les Etats-Unis, plutôt que d'assumer les décisions de sa Justice. Roman Polanski, qui avait reconnu le viol de Samantha Geimer, en 1977, a fui ses responsabilités en quittant le sol américain. Il n'a pas purgé sa peine. Outre Samantha Geimer, il a été accusé de viols par onze autres femmes. Pourtant, cette semaine, il écrit : "Les activistes agitent le chiffre de 12 femmes que j’aurais agressées il y a un demi-siècle ; ces fantasmes d’esprits malsains sont désormais traités comme des faits avérés. Un mensonge répété 1000 fois devient une vérité". Il a reconnu le viol de Samantha Geimer. Admettons que les onze autres accusations soient fausses. Lui qui prétend défendre la vérité, que n'a-t-il prouvé son innocence ? Il est suffisamment puissant et entouré pour cela, c'eut été facile pour lui. Il ne l'a pas fait. Suffit-il de faire l'autruche pendant 50 ans pour qu'un crime s'efface ?



Dans une tribune publiée ce jour sur le site de l'Express, Yael Mellul et Lise Bouvet, coautrices de "Intouchables ? People, justice et impunité" tentent de démonter les argumentations pro-Polanski. Elles écrivent : ""Les amis de Polanski" nous disent, entre autres, qu'il n'est pas un justiciable ordinaire car c'est un auteur accompli, un grand artiste, créateur d'une œuvre sublime. On peut tout d'abord relever un lien logique suspect entre son talent (qui est indéniable) et le rapport de ce dernier avec la justice criminelle." Elles poursuivent : "Nous vivons dans un régime politique où les artistes, aussi doués soient-ils, sont des citoyens et des justiciables comme les autres. Nous entendons bien que les fans de Polanski ne peuvent se passer des plaisirs que son talent leur procure. Cependant, seule la justice en tant qu'institution indépendante peut dire si Roman Polanski doit passer un jour de plus de sa vie en prison. Et à partir du moment où il a fui le tribunal légitime à le juger et qu'on nous demande notre assentiment et notre audience, il est de notre liberté, en tant que public, de l'accorder ou de la refuser. " Et d'enfoncer le clou: "Roman Polanski a strictement le droit de faire ce qu'il veut, puisqu'il est libre en France. Mais à partir du moment où il fait des films que le public est invité à aller voir, il faut accepter que ce public ou une partie de celui-ci s'y refuse, et l'exprime, a fortiori lorsque Polanski se voit consacré par des prix ou des nominations".  N'en plaise à Brigitte Bardot qui a osé diffuser ce message hier :

 Reste maintenant à savoir si Roman Polanski recevra ou non des prix ce soir...

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