mercredi 29 avril 2020

Femme, ton temps et ton savoir-faire tu offriras

En temps "normal", il va de soi que les femmes donnent de leur temps, s'investissent dans le bénévolat, dans le "care" (= le "prendre soin", en français dans le texte). C'est ce que l'on attend d'elles. Ce sont elles qui s'occupent de la maison, des enfants, des aînés, ...de façon spontanée ou non.

En période de confinement, les lignes ont-elles bougé ? Les optimistes voulaient croire que, contraints et forcés de rester à la maison, les hommes prendraient leur part des corvées, s'investiraient plus auprès des enfants, se mettraient aux fourneaux et devant le panier de linge sale... S'ils devaient télétravailler, c'était aussi le cas de leur compagne. Pas de raison, donc, a priori, qu'elles multiplient les corvées et pas eux. Dans les faits, on me murmure à l'oreille que, hormis pour une infime partie de la gente masculine, les choses n'ont guère évolué. Peut-être y avait-il une once d'espoir dans les premiers jours, vite douchée par l'installation d'une routine plus propice au vautrage dans le canapé, une bière dans une main et une télécommande dans l'autre - je caricature à peine - plutôt qu'au développement de nouvelles habitudes de partage des tâches domestiques dans le couple, de façon durable. Chassez le naturel, il revient au galop.

Mais la sphère domestique n'est pas le seul domaine où "l'exploitation" des femmes se poursuit, en cette période inédite de confinement généralisé et de crise sanitaire. Prenez le cas des masques en tissu. Au commencement, lorsque les premières couturières ont mis au point des patrons de masques qu'elles ont diffusés sur les réseaux sociaux, on a entendu : "si ça les occupe..." On dévalorisait ce faisant de fait ce que ces femmes produisaient, leur esprit créatif et leur instinct de préservation. Ah oui, j'en profite pour rappeler que les machines à coudre, c'est bon pour les "bonnes femmes". Il va sans dire que les hommes devant une MAC ne sont pas légion, pauvres âmes en perdition.



Mais revenons à nos moutons. Les masques en tissu étaient donc il y a un mois considérés comme un passe-temps, peu utile, sans intérêt. Et puis, peu à peu, étant donné la pénurie régnant sur le territoire, tout le monde - les politiques au premier rang -  s'est mis à considérer que ce n'était pas si bête de produire de tels masques. Alors on a encouragé chacun - ou plutôt chacune - à sacrifier des taies d'oreiller et autres linges de maison pour produire des masques que l'on distribuerait autour de soi. Chaque couturière se sentant le devoir de s'y coller aussi, s'entendant dire "toi qui couds, tu as vu l'appel de tel CHU, tu devrais faire des masques". Et gare à ladite couturière si elle osait répondre qu'elle n'en ferait pas. Elle ne répondait pas à l'appel à la solidarité. Elle refusait de donner un peu de son temps. Elle était égoïste. 

L'injonction était lancée : quiconque avait une machine à coudre se devait de se lancer dans la production intensive de masques à l'efficacité incertaine mais supposée nécessaire. Les entreprises de textile, les ateliers de couture, les auto-entrepreneuses de l'habillement et de la maroquinerie se devaient d'investir leurs moyens dans cette vaste entreprise : coudre des masques pour l'ensemble de la population. Pas un jour sans entendre à la radio ou voir fleurir sur les réseaux sociaux et à la télévision des sujets vantant les couturières au service de la nation. Quel message rempli d'espoir renvoyaient ces femmes bénévoles et motivées !

Mais peu à peu, on a regardé autour de soi, on s'est remémoré ce fameux discours d'Emmanuel Macron répétant à l'envi que nous étions en guerre. Et les couturières, en fantassins des temps modernes, ont réalisé qu'il n'y a pas de guerre sans moyens; que l'industrie de l'armement n'accepterait jamais de travailler par simple esprit solidaire et qu'au fond, on s'était joué de la bonne volonté de toutes les couturières et qu'elles travaillaient "pour la gloire". Mais la gloire, ce n'est pas ça qui vous nourrit ! On considérait normal qu'elles offrent leur temps, leurs moyens, pour que chacun bénéficie de son masque. On considérait normal que ces femmes travaillent gratuitement. Elles n'oseraient quand même pas placer leur intérêt personnel avant la sécurité sanitaire de la nation ?!

Il y a quelques jours, des couturières mobilisées depuis le début de la crise sanitaire pour produire des masques en tissu se sont regroupées au sein d'un collectif, "Bas les masques", où elles dénoncent une dévalorisation de leur métier, étant donné que dans le contexte que nous traversons, il est attendu d'elles tant et plus sans rémunération aucune et alors que ce qu'elles produisent apparaît nécessaire aux yeux de tous. « Notre savoir-faire, notre temps, notre travail ne valent-ils PLUS RIEN ?? », interrogent-elles. Elles ajoutent : "Le mouvement a dépassé de loin le bénévolat et est en train de remplacer une industrie qui devrait être pris en charge par le gouvernement".

Tout travail mérite salaire, dit l'adage. Sauf, semble-t-il, lorsqu'il s'agit du travail des femmes. 

Pour en savoir plus sur le collectif Bas les masques : Hold up sur le métier de couturière

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2 commentaires:

  1. En temps de crise, rien ne change au contraire, les inégalités se creusent. Le travail des femmes est toujours plus dévalorisé et tous les moyens sont bons, voir le dernier Cash Investigation. Je soutiens Bas les masques et je n'ai pas participé à l'effort de guerre : j'ai cousu pour mon mari qui n'a jamais reçu les blouses qu'il avait commandé avant le confinement (il est kiné) et j'ai cousu pour moi, pour mon plaisir. Mes grand-mères m'ont inculqué l'indépendance économique et morale (ne dépend pas d'un homme me disaient -elles) et j'ai choisi un métier plutôt masculin. Il faut que les femmes s'émancipent des stéréotypes et cessent d'accepter d'être des citoyens de seconde catégorie !

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    1. Et il faut que les hommes qui voudraient exercer des métiers ou des activités estimés "féminins" puissent le faire de la même manière...

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