Nous avons toutes connu cette situation : à la faveur d'un entretien d'embauche, cet échange où le recruteur s'enquiert de votre situation de famille et demande, l'air de rien, si vous avez l'intention d'avoir des enfants. Evidemment, tout le monde sait que le recruteur n'a pas le droit de vous poser cette question. Mais qui s'en soucie ? On a besoin de savoir avec qui on s'apprête à travailler, non ? Et, bon, en tant que candidat au poste, on va bien se garder de s'offusquer d'une telle intrusion dans notre vie perso. On le veut cet emploi ou non ?
Et puis, si on est toutes passées par là, un jour ou l'autre, certaines, selon l'emploi convoité, ont droit à un peu plus d'insistance encore. Pour peu qu'elles postulent à un emploi traditionnellement occupé par un homme, il leur faudra prévoir ces questionnements, s'attendre à un échange musclé sur le sujet, où elles devront bec et ongles leur ambition.
Cela m'avait échappé mais, l'an passé, un roman graphique est paru qui racontait l'embauche d'Emmanuelle Maisonneuve en tant qu'inspectrice au Guide Michelin. Dans ce très chouette livre où il est question de cuisine, de découvertes, de rapports humains, on découvre une entreprise très masculine où l'arrivée de cette jeune femme déconcerte et bouscule les habitudes. Elle est plus jeune que ses collègues et surtout, elle est une femme. Quand, à la fin de sa période d'essai, l'un de ses supérieurs lui dit : "soyons tout à fait francs. Si vous souhaitez construire une vie de femme, ce métier risque d'être trop dur pour vous. Vous pourriez préférer une activité professionnelle plus tranquille", Emma se demande pourquoi tous pensent qu'elle n'est pas "aussi capable qu'eux" et lui répond : "il y a des femmes qui ne souhaitent pas une activité professionnelle tranquille".
En ce qui la concerne, elle veut apprendre, former son palais, comprendre comment on crée le goût, comment on consacre sa vie à ça. Elle sent que sa vocation est d'être inspectrice au Guide Michelin. Elle se dit déterminée. Et son enthousiasme paie. Elle passe le cap de la période d'essai. Elle sillonnera la France à la recherche de nouveaux goûts, de cuisines de qualité. Dans un monde d'hommes, parce qu'elle était sûre d'elle, Emmanuelle Maisonneuve s'est fait une place de choix, qu'elle a quittée quand elle l'a voulu, quelques années plus tard.
C'est un joli destin. Mais à la fois, si elle avait été un homme, elle n'aurait pas eu besoin d'afficher ainsi sa détermination. Il lui a fallu prouver qu'elle est aussi - voire plus - capable qu'un homme. L'histoire, d'ailleurs, ne dit pas si elle était rémunérée de la même façon que ses collègues masculins.
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