jeudi 7 février 2019

Si demain, les femmes cessaient de travailler...

"De 1954 à 2008, la grande majorité des créations nettes d'emplois sont des emplois féminins : le nombre d'emplois s'accroît de 38% sur 54 ans; les emplois occupés par les femmes ont presque doublé (+88%) pendant que ceux occupés par les hommes ont augmenté de 11%". Au cours du siècle écoulé, l'arrivée en masse des femmes sur la marché du travail a radicalement changé l'organisation de la société dans son ensemble, décrivent Margaret Maruani et Monique Meron dans "Un siècle de travail des femmes en France".

Mais au fil du temps, leur emploi s'est précarisé : elles sont plus présentes que les hommes dans le travail à temps partiel, sous-employées, moins bien payées, etc. Mais, moins revendicatives et la tête dans le guidon - syndrome de la double journée oblige -, on les entend moins. Voire pas du tout. Jusqu'à ce que le mouvement des gilets jaunes contribue d'une certaine façon à leur mise en lumière, symbolisée notamment par la médiatisation de Ingrid Levavasseur, cette jeune femme désormais candidate aux élections européennes et qui, aide-soignante au salaire ras les pâquerettes, mère de deux enfants et divorcée, représente cette frange de la population jusqu'ici invisible et oubliée. Alors, subitement, par le charisme de cette personne, on a réalisé que les travailleurs précaires sont largement des femmes, et que, dans le lot, on trouve un certain nombre de mères divorcées qui se battent souvent pour toucher la pension alimentaire à laquelle elles ont droit.

Ingrid Levavasseur, symbole d'une population précaire. Photo AP


Que leur répond-on ? Que leur propose-t-on ? Hier soir sur BFM-TV, la secrétaire d'Etat à l'égalité femmes-hommes, tout juste primée par le Trombinoscope comme "révélation politique de l'année", reconnaissait "les efforts nécessaires de l'Etat" sur le sujet des pensions alimentaires. Elle parle même de "maltraitance institutionnelle". Mais pour l'heure, il faudra se contenter, le 7 mars prochain, d'une conférence où des mères célibataires viendront témoigner et présenter leurs propositions. Marlène Schiappa a beau prétendre ne pas avoir attendu le mouvement des gilets jaunes pour "se mobiliser sur le sujet", elle n'a manifestement rien à proposer de concret.

Toutefois, traiter cette question des pensions alimentaires ne résout pas l'autre problème de ces femmes : la précarisation due à leur sous-emploi et/ou leur faible salaire. Ainsi, dans les colonnes du Monde diplomatique de ce mois de janvier 2019, le journaliste Pierre Rimbert évoque "la puissance insoupçonnée des travailleuses". Il développe cette idée qu'elles auraient une force de frappe inédite si demain, elles décidaient d'arrêter le travail. Il pose ceci : "La nature même des services à la personne, des soins, du travail social et de l’éducation rend ces emplois non seulement indispensables, mais aussi non délocalisables et peu automatisables, car ils exigent un contact humain prolongé ou une attention particulière portée à chaque cas". Ces postes-là sont essentiellement attribués à des femmes. Elles constituent un "salariat populaire mal payé, aux horaires décalés, qui effectue dans des conditions difficiles des tâches peu valorisées", quoi qu’indispensables. Qu'est-ce qu'une société qui paye rubis sur l'ongle des emplois de conseils plus ou moins nébuleux, plus ou moins utiles, plus ou moins suivis d'effets, des "bullshit jobs" en veux-tu en voilà, quand dans le même temps, il ne reconnaît pas l'importance des emplois liés au soin, au prendre soin, à l'éducation ?

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