Il est de ces sujets qui dérangent, dont on voudrait qu'ils n'existent pas. Des sujets pour lesquels on aimerait de ne rien entendre, ne rien lire, ne rien savoir. Des sujets que la morale réprouve. Que la justice condamne. Et qui pourtant, adviennent toujours. Comme une triste ritournelle, absurde, cruelle, violente et intolérable.
C'est une histoire de pouvoir. L'histoire d'un homme qui, parce qu'il était un nom important au sein de son parti politique, s'autorisait à penser qu'il avait un certain droit sur les femmes qui l'entouraient. Un homme qui, aux dires de nombreuses femmes, a abusé d'elles, les a harcelées des années durant et qui, alors que ces choses se savaient, a continué son bonhomme de chemin sans que personne ne parle. Il est question ici de Denis Baupin.
En 2016, France Inter et Mediapart publient des témoignages de femmes qui dénoncent ce qu'il leur a fait subir. Alors vice-président de l'Assemblée nationale, il conteste. Plusieurs femmes portent plainte, Sandrine Rousseau publie un livre sur le sujet (lire ou relire : Combat pour les droits des femmes). Et l'affaire est néanmoins classée sans suite au printemps 2017. Il y a prescription. Autrement dit : Denis Baupin n'est pas lavé de tout soupçon mais comme il y a prescription, on ne saura jamais. Alors l'homme choisit une issue incroyable : il porte plainte pour diffamation contre ces femmes et contre les journalistes qui avaient publié les témoignages. Alors que tout l'accuse, que les témoignages concordent, que des hommes savaient, se sont tus et culpabilisent de ne pas avoir dénoncé ces agissements, Denis Baupin ose attaquer en diffamation, il pense sans doute laver son honneur.
Cécile Duflot |
Le procès se tient ces jours-ci et les femmes se suivent à la barre pour décrire l'impensable. Elles racontent pour certaines avoir été plaquées contre le mur, les mains de Denis Baupin palpant leurs seins, les caressant dans le dos, dans le cou, avec insistance, elles racontent les SMS sans équivoque, les regards appuyés. Au sein du parti écologiste, chacun savait qu'il valait mieux ne pas être une femme seule dans une pièce avec lui. Mais au fil des auditions à la barre de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris cette semaine, on lui prête soit les traits d'un agresseur incapable de se contrôler, qui tétanise les femmes, soit ceux d'un dragueur lourd, libertin et non violent.
Ce que l'on retiendra, surtout, de cette semaine d'audiences, c'est l'absence de Denis Baupin qui, alors qu'il accuse toutes ces femmes en diffamation, ne vient pas soutenir leur regard et écouter ce qu'elles ont à dire. Il n'aura pas assisté à cette scène qui marquera vraisemblablement l'histoire de la politique, l'histoire des femmes en politique : Cécile Duflot a raconté ce jeudi à la barre avoir elle aussi été agressée par Denis Baupin, alors qu'ils briguaient tous deux la présidence du parti écologiste. C'est la première fois qu'elle se livre, sanglotante. Jusqu'ici, elle n'avait jamais rien dit. Elle explique : "Évidemment, si je disais quelque
chose, on me dirait que c’était parce qu’il était candidat contre moi.
Ça ne m’a jamais traversé l’esprit de porter plainte". Elle a donc fait silence et minimisé les histoires qu'elle entendait concernant d'autres femmes. Elle s'est endurcie, admet-elle, comme si elle acceptait l'idée qu'en politique, si tu ne sais pas traverser ces épreuves-là, autant passer ton chemin. Finalement, dit-elle, "on était très complaisants avec la violence". Cécile Duflot acceptait au fond l'idée que les femmes restent et demeurent sous domination masculine, que la violence fait partie du jeu, que c'est la règle. Soulagée d'avoir parlé, elle pense aux "filles après nous" : "elles sauront qu’elles ne sont pas obligées de subir ça".
Le procès s'achève ce vendredi.
En complément, je vous suggère la lecture de la tribune du collectif Chair collaboratrice parue ce jour dans Libération et qui signale que rien n'a changé dans les couloirs de l'Assemblée nationale. "Elles sauront qu'elles ne sont pas obligées de subir ça" dit Cécile Duflot, mais ça ne veut pas dire qu'elles ne le subiront pas... : Le sexisme sévit toujours dans les couloirs de l'Assemblée
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