lundi 22 mars 2021

Trisomie 21 : mettre au monde un enfant qui n'entre pas dans les cases

 "Vous ne l'avez pas su avant la naissance?" C'est sans doute la phrase que les parents d'enfants atteints de trisomie 21 entendent le plus souvent. C'est la phrase qui les fait bondir. Car ces mots sous-entendent : si vous aviez su que votre bébé était porteur de cette maladie, vous auriez avorté. Vous n'auriez pas à porter ce fardeau.

Violette Bernad est la mère d'un de ces enfants au visage "lunaire". Il y a six ans, elle a donné naissance à cet enfant que la société a parfois encore du mal à accepter. Dans "Triso tornado", bande dessinée tout juste parue chez Futuropolis, elle raconte les premiers mois, premières années, de la vie de son fils, les examens médicaux, les difficultés administratives et surtout, le regard des autres, leur discours. "Avec le dépistage obligatoire, on a pris l'habitude d'éliminer le malade plutôt que de soigner la maladie", écrit-elle, avant d'ajouter : "la trisomie, ça gonfle tout le monde, on laisse tomber la recherche". Dans cet ouvrage, superbement dessiné par Camille Royer, Violette Bernad raconte que lors de ses deux grossesses, elle et son mari avaient été gênés par cette histoire de dépistage. "Nous étions troublés par son objectif tacite : l'avortement. En France, 96% des parents qui apprennent la trisomie de leur bébé pendant la grossesse choisissent de l'interrompre".

A la lecture de cette BD, j'ai évidemment transposé avec mon expérience personnelle : pendant mes grossesses, je ne me suis jamais posé la question de savoir ce que je ferais si j'apprenais que mon bébé était porteur de cette maladie. Comme sur plein d'autres sujets liés au fait de devenir mère, j'étais super candide en la matière, très innocente voire bien naïve. J'ai vécu mes grossesses en suivant le mouvement, faisant ce qu'on me demandait de faire, sans me poser de questions. Il se trouve qu'aucun diagnostic pré-natal n'annonçait de trisomie  concernant mes bébés et qu'aucun de mes enfants n'est né avec cette maladie. Comment se fait-il que je ne me sois jamais posé de questions ?

 

Des années avant que je devienne mère, j'avais appris qu'une femme que j'avais côtoyée dans mon enfance avait donné naissance à un enfant trisomique. Et je me souviens en effet des réactions des gens, à l'avenant de ce que raconte Violette Bernad : "comment se fait-il que personne ne s'en soit aperçu pendant la grossesse ? Elle aurait pu avorter". Ce serait donc la norme d'avorter quand on apprend que le bébé n'est pas "normal". Une norme à 96%. Une injonction de la société aussi, en quelque sorte. Ça ne se fait pas de mettre au monde un enfant qui ne rentre pas dans les cases, un enfant dont personne ne veut, au fond.

Évidemment que c'est très compliqué d'être le parent d'un enfant trisomique. Évidemment que votre vie ne sera pas un long fleuve tranquille. Évidemment que les embûches seront nombreuses, que vous vivrez des ascenseurs émotionnels fréquents. Mais en vertu de quoi la société se veut-elle donneuse de leçons et vous guide-t-elle ainsi dans vos choix ? Pourquoi s'autorise-t-on, au mieux des regards compatissants, au pire des remarques acerbes ?

Quand elle apprend la trisomie du bébé qui vient de naître, dans Triso Tornado, sa grand-mère lance son verdict : "on l'aimera encore plus". Et c'est bien de cela qu'il s'agit, d'amour. Le jeune papa de l'histoire n'en manque pas lui non plus qui demande à sa femme : "Ça te dit d'élever un enfant trisomique avec moi?"

Triso Tornado, une magnifique histoire d'amour, doublée d'un très intelligent questionnement autour de notre capacité à accepter la différence. Un regard honnête, plein d'humour et de poésie sur la trisomie dans la France du 21è siècle.


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