mardi 23 mars 2021

Journalisme sportif : les femmes dénoncent

L'affaire de la semaine, c'est semble-t-il le sexisme dans le journalisme de sport... D'aucuns diront que c'est un pléonasme.
Sauf erreur de ma part, il n'y a jamais eu autant de femmes journalistes dans ce secteur, et ce d'autant plus, à la télé. Elles sont jeunes, elles ont de la répartie, et si vous regardez bien, soulignait Anne-Laure Bonnet sur le plateau de C à vous hier, "elles sont quasi toutes blondes" et jolies. Elles incarnent le gage de féminité de ces émissions sportives. Elles sourient à l'antenne. Elles sont parfaites.

Mais elles en bavent des ronds de chapeaux. Elles subissent le sexisme des équipes dans lesquelles elles travaillent - car elles sont souvent la seule femme de l'équipe -, reçoivent des horreurs de la part du public, une bonne part étant encore accrochée à l'idée que le sport, c'est un truc de mecs et que les femmes qui osent prétendre y faire carrière ont forcément couché ou forcément envie de le faire.

Ce week-end, Canal + diffusait un documentaire de la journaliste Marie Portolano, "Je ne suis pas une salope, je suis une journaliste" dans lequel une quinzaine de ses consœurs témoignent de ce qu'elles ont subi. Harcèlement, syndrome de l'imposture - "qu'est-ce que je fais là ? une femme peut-elle prétendre être journaliste dans le sport ?", sentiment d'avoir été recrutée pour faire la potiche... Faut-il que ces femmes aient le caractère bien trempé pour encaisser tout cela ? 

Marie Portolano, visuel "Je ne suis pas une salope", Canal +
 

Anne-Laure Bonnet raconte que lorsqu'elle travaillait sur TF1 dans le champs de la formule 1, on lui a clairement dit : "Si tu ne maigris pas, on t'enlève de l'émission". Ce à quoi, elle aurait rétorqué : "Je parle 5 langues, c'est pas utile sur la F1?" Utile sans doute, mais pas suffisant.

Il y a donc ce climat hyper sexiste, misogyne, à laquelle s'ajoute une partie émergée de l'iceberg qui déchaîne désormais les passions : Pierre Ménès. Pierre Ménès, c'est le journaliste qui se targue d'avoir toujours travaillé avec des femmes, de ne pas faire la différence entre les hommes et les femmes au travail, mais qui embrasse de force les femmes journalistes sur les plateaux télé, voire soulève leur jupe devant le public. Invité sur le plateau de Cyril Hanouna pour s'exprimer à ce sujet hier, il a évidemment joué les victimes. Depuis la diffusion du documentaire de Marie Portolano, il reçoit des tombereaux d'insultes. Pauvre garçon ! Peu importe en fait. Ce qui semble le plus perturbant au fond, c'est que pendant des années, il a agi ainsi sans que personne ne le fustige. Il a embrassé de force des femmes devant un public qui l'applaudissait à tout rompre et trouvait ça drôle qu'il force ces femmes. Pendant des années, on l'a laissé faire. Personne n'y trouvait rien à redire. 
 
Aujourd'hui, alors que le documentaire de Marie Portolano vise à dénoncer tout un système et non à attaquer personnellement telle ou telle personne, voilà que tous les regards se portent précisément sur cet homme, qui va donc vraisemblablement devenir le bouc émissaire de l'histoire. On peut s'attendre à ce qu'il soit écarté un temps des plateaux télé, et on oubliera tout. Le documentaire sera réduit à cette idée-là : Ménès doit être mis au placard et on n'en parle plus. Comme si tout reposait sur lui et uniquement sur lui. Comme si aucun rédacteur en chef d'émission de télé sur le sport, aucun journaliste masculin autre que Ménès n'était en cause. 
 
Pierre Ménès

 
Pourtant, selon le média Les Jours, Canal + a tenté de protéger son journaliste Ménès en censurant les passages du documentaire qui le mettaient en cause. Opération ratée puisque cela s'est su et que Ménès se retrouve dans le viseur de toutes les critiques. Dommage. Car en se focalisant sur lui, on oublie tous les autres et on oublie le message premier délivré par ce documentaire : le journalisme de sport doit opérer sa mutation, reconnaître son sexisme, faire son mea culpa et permettre vraiment aux femmes de s'y épanouir. Elles ne sont pas des potiches, elles ne sont pas là pour faire joli sur les plateaux. Elles sont là pour commenter le sport, analyser, réaliser des interviews. Elles sont là pour faire le job. Mieux, elles le font. Mais ce que l'on retient, c'est la profondeur de leur décolleté, la couleur de leurs chaussures et de leur rouge à lèvres, la courbe de leurs hanches. Affligeant.
 
Outre ce documentaire sur Canal + qui donne un coup de pied dans la porte, les femmes journalistes de sport enfoncent le clou en se regroupant en un collectif, "Femmes journalistes de sport", créé en décembre dernier et qui vient de publier une tribune  dans les colonnes du Monde : Femmes journalistes de sport : nous occupons le terrain. Elles écrivent : "Nous voulons être aux premières loges pour raconter, pour commenter, pour analyser, pour diriger. Nous voulons que les femmes soient mieux représentées dans les médias sportifs, plus protégées, plus valorisées. Qu’elles soient plus nombreuses aussi, parce qu’être davantage dans les rédactions permettra, en partie, d’en finir avec le sexisme".

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