lundi 9 mars 2020

Quand une marche symbolique tourne au violent fiasco

Au lendemain de la journée des droits des femmes, c'est le malaise. Samedi soir, en guise d'introduction à ce 8 mars, des centaines de femmes - et d'hommes- défilaient de nuit, dans les rues de Paris, pour symboliser le fait que la nuit, les femmes doivent pouvoir marcher dans les rues en toute sécurité. D'abord tranquille et festive, la marche symbolique s'est achevée dans la violence quand, à 22h30, alors que devait prendre fin l'évènement, il n'en a rien été. Les femmes sont arrivées place de la République, accueillies par ce qu'elles décrivent comme une nasse de CRS, et ordre est donné aux forces de l'ordre de faire cesser la manifestation et de disperser la foule. Les images diffusées ensuite sont d'une violence tristement significative de l'époque. Des femmes poussées par des représentants des forces de l'ordre dans les escaliers des bouches de métro, des lacrymo jetées dans la foule, des gens qui courent, qui hurlent... et des slogans à l'avenant.

Manifestation du 7 mars 2020 - photo Vidhushan VIKNESWARAN pour Libération


Évidemment, il semble ubuesque de se dire qu'une manifestation contre les violences faites aux femmes se termine précisément par des actes de violence contre les femmes. Évidemment, les images sont parlantes : des hommes casqués, boucliers en avant, qui foncent sur des femmes sans protection et sans défense, c'est choquant, très choquant. Les images sont violentes, dures, sans appel. Tout semble à charge contre ces forces de l'ordre. Le préfet de police Didier Lallement ne s'en tirera vraisemblablement pas à bon compte, même s'il est à ce stade soutenu officiellement par Christophe Castaner. Didier Lallement a beau prétexter que les "incidents" de ce samedi soir sont "manifestement le fait d'individus ayant pour seul but de provoquer les forces de l'ordre et de perturber le bon déroulé de l'événement", il n'en demeure pas moins que ces violences n'auraient pas du arriver. Dans une société "normale", rien de tout cela ne se serait passé. Dans une société "normale", on n'aurait pas eu besoin d'organiser cette manifestation. Dans une société "normale", il n'y aurait pas de violences contre les femmes.



Oui mais voilà, on n'est pas dans une société "normale". On est dans une société malade de son patriarcat. Et on est dans une société qui, depuis pas loin de deux ans, est devenue par la force des choses, virulente, conflictuelle, à bout. Cette société manifeste sa colère, sur tous les sujets. A tel point que plus aucune manifestation ou presque ne se solde sans actes violents. Au fond, s'il n'y avait pas eu de violences ce week-end, cela aurait tenu du miracle. Et donc, dès samedi soir, les forces de l'ordre ont donné le ton. Elles n'allaient pas laisser les manifestantes s'emparer des rues de Paris si facilement, quand bien même l'écrasante majorité du cortège était féminin, pacifiste et joyeux. Les mauvaises langues diront même qu'à force de réclamer l'égalité avec les hommes, les femmes subissent elles aussi les coups de la police si elles dépassent les bornes.

Mais de quelles bornes parle-t-on ? Ont-elles brisé des vitrines, saccagé des magasins, incendié des voitures ? Qu'ont-elles fait d'autre que de hurler leur colère ? Rien ne justifie jamais les violences, et en l'espèce, rien n'excusera jamais ces hommes représentant l'ordre qui traînent des femmes sur le sol comme des sacs à patates, parce qu'elles chantent trop fort.
"Nous sommes fortes, nous sommes fières, et féministes, et radicales et en colère", scandaient-elles donc ce samedi soir au nez et à la barbe des forces de l'ordre. Dans ce chant, un mot est ambigu. Radicales. Dans le dictionnaire, on définit ainsi cet adjectif : "qui vise à agir sur la cause profonde de ce que l'on veut modifier". De ce point de vue, l'emploi de cet adjectif est inattaquable. Oui les femmes d'aujourd'hui, celles qui militent pour plus de droits, plus d'égalité, sont radicales. Oui, elles œuvrent à un changement profond de la société. Sauf que, en 2020, après tous ces actes terroristes que la France a subis, le mot "radical" a revêtu un caractère plus que nauséabond. L'utilisation du terme est tristement connotée. Se revendiquer radical peut inquiéter. Il aura pu heurter les représentants de l'Ordre. Pas de quoi frapper des femmes pour autant.



Et puis, dans l'emballement général - ce qui est le propre des manifestations, on se laisse porter par le mouvement, dans une frénésie collective, un sentiment de toute puissance -, les manifestantes s'emportent : "police partout, justice nulle part" ou encore "tout le monde déteste la police", "police, violeurs, assassins". Rien qui permette d'apaiser la tension hautement palpable. Les manifestantes sont remontées, fâchées, alors elles hurlent ces slogans. Des phrases qui détruisent tout et effacent tout ce qui était jusque-là positif et joyeux dans cette marche symbolique. Dans le sujet des violences faites aux femmes, la question de l'écoute nécessaire de la police et de la justice est omniprésente. Depuis des mois, on cherche à améliorer la prise en charge des femmes victimes de violence par les forces de l'ordre. On essaie de faire en sorte que ces violences subies par les femmes soient mieux entendues, prises au sérieux, que les victimes soient protégées. Et voilà que des centaines de femmes se retrouvent violentées par des représentants des forces de l'ordre place de la République et qu'elles hurlent leur détestation de la police. Comment ne pas parler de gâchis, d'échec total de cette marche de samedi ? Comment ne pas désespérer ? Si la confiance est à ce point inexistante entre les femmes et la police, après des mois et des mois d'actions pour améliorer les choses, nous voici de retour à la case départ, non ?
Que dire enfin d'une société dont les forces de l'ordre frappent les femmes, face caméra ? La symbolique est forte. Qu'a-t-on voulu faire samedi soir ? Faire taire les femmes ? Leur montrer qui commande et qui décide ? Qu'est-ce que cette "séquence", pour reprendre un mot à la mode, nous dit de la société dans laquelle on vit ?


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