On l’appellera Capucine. Capucine a 15 ans, elle est en classe de 3ème dans un collège de région parisienne. Ni trop brillante ni mauvaise élève, Capucine se la joue discrète. Elle s'habille en noir et dégradé de gris. Elle évolue dans une classe où les personnalités s'opposent. Une bande de garçons "met l'ambiance", squatte le dernier rang, joue les grandes bouches, tchatche et cultive l'art de la vanne. Quelques filles s’assoient au premier rang, elles s'intéressent à ce que raconte l'adulte face à elles, participent. Entre le premier et le dernier rang, les discrets, ces élèves, filles et garçons, qui vous répondent si vous les interrogez mais ne lèvent pas le doigt spontanément. Parmi eux, Capucine maîtrise à ce point l'art de passer inaperçue que l'adulte ne la fait pas participer. Elle est là mais on ne la "voit" pas. Elle n'est pas enfermée dans sa coquille, sans quoi on l'aurait repérée. Elle est juste du genre "profil bas".
Cette description semble caricaturale. Forcément, les gars sont dissipés et au premier rang se trouvent les filles sérieuses et intéressantes. Ça fleure bon les gros clichés, tout comme ce commentaire de l'enseignante : "les filles sont tellement plus matures que les garçons". Et pourtant, c'est bien à cette scène que j'ai pu assister, intervenant dans le cadre de la semaine de la presse à l'école. Les garçons de cette classe ne sont pas méchants, pas du tout. Mais ils sont là, tellement là physiquement, ils occupent tout l'espace, ils parlent fort, ricanent en permanence. Toute l'attention doit se porter sur eux, votre regard d'adulte doit aller jusqu'au dernier rang, par-dessus le flot de tous les autres élèves. A la rigueur, les filles du premier rang parviennent à capter votre attention parce qu'elles ont envie d'échanger avec vous et bien sympas, ce sont elles qui viendront vous voir à la fin de la séance pour vous remercier d'être venue, pas pour jouer les fayotes mais parce que, disent-elles : "vous avez eu la gentillesse de venir et tout le monde n'a pas forcément été super cool avec vous". J'ai pensé très fort : "je m'en fous les filles, si vous au moins avez été intéressées, alors je ne suis pas venue pour rien".
Et puis, quand tout le monde est parti, Capucine s'est approchée. Je n'avais pas entendu le son de sa voix jusque-là. Elle me dit : "je voulais vous dire : j'ai installé une appli sur mon téléphone pour me tenir un peu au courant de l'actualité. Comme ça, je lis des articles du Monde et du New-York Times. J'ai mis le Monde parce qu'on m'a dit que c'est un journal neutre et le New York Times pour travailler un peu mon anglais". Dans ses yeux, l'attente du verdict. De ma bouche, ces mots qui sortent spontanément : "Tu as 15 ans et tu lis le Monde et le New-York Times. Des millions d'adultes ne le font pas. C'est vachement bien, bravo ! Tu lis des choses plus légères ?" Elle répond : "j'aimerais travailler dans la psychologie alors comme ma mère s'y intéresse un peu, elle m'a abonnée à Psychologie magazine. Je ne lis pas tout mais j'y trouve des choses intéressantes". Peu à peu, Capucine se décrispe. Elle avait besoin qu'un adulte valide ses choix. Face à ses camarades de classe, elle était restée silencieuse, n'avait pas participé du tout aux échanges, elle ne voulait pas se mettre en avant, craignant peut-être de prêter le flanc à la moquerie. Si elle disait devant 28 adolescents qu'elle lit Le Monde et le New York Times, elle passerait vraisemblablement pour une fille qui se la raconte, d'autant qu'eux avaient passé l'heure à dire qu'ils ne s'informent pas, ou seulement via Snapchat, en allant voir des videos de Brut que les copains s'échangent. Alors forcément, Capucine aurait fait tâche si elle avait raconté qu'elle lit des journaux.
Depuis 24 heures, je repense à Capucine. Du haut de ses 15 ans, elle me rappelle combien les filles ont, chevillé au corps, le principe de la discrétion. Surtout, ne pas faire parler de soi. Avancer, suivre son petit bonhomme de chemin sans se faire remarquer. Rester dans l'ombre. Identifier des adultes qui pourront valider leurs choix et leurs idées. J'aurais du lui dire d'oser s'affirmer, d'oser exprimer ses idées, parce qu'elle sort du lot, parce qu'elle n'a aucune raison de se laisser impressionner, parce que son discours et sa curiosité du monde valent tellement mieux que les vannes échangées par les autres élèves. Toutes les Capucine du monde devraient pouvoir assumer haut et fort leurs ambitions, leurs certitudes. Toutes les Capucine du monde méritent qu'on les écoute.
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