Hélène
a 39 ans, elle est mariée, maman de jumelles de deux ans et ne "travaille" pas.
Elle est en congé parental. « Mère
au foyer n’est pas un choix pour tout le monde », rappelle-t-elle. « Pour moi c’est un non-choix, une
situation avec laquelle j’ai appris à vivre, mais j’espère sincèrement qu’elle
évolue prochainement. Dans ma vie aujourd’hui, je ne fais pas vraiment ce dont
j’ai envie, je fais surtout ce dont ma famille a besoin. Mais j’ai
« l’impression d’être en prison chez moi ». Hélène est branchée
commerce international. Jusqu’à la naissance de ses filles, elle sillonnait la
planète. Avec un mari ayant lui-même un
poste avec des déplacements, la vie de famille est compliquée. Aucun système de
garde satisfaisant ne permet à Hélène de reprendre le travail. Pas simple.
A l’opposé, Marie, maman de trois
enfants, respire le bonheur. Quand on lui demande quelle est sa situation
professionnelle, elle répond : « maman
à temps plein, du lever jusqu’au coucher ». Elle raconte : « J’étais préparatrice en pharmacie
avant d’avoir mon premier enfant, et j’ai arrêté de travailler à sa naissance.
Initialement, je pensais reprendre à
temps partiel pour pouvoir profiter de lui tout en travaillant mais je me suis
vite aperçue que j’allais avoir du mal à reprendre. Je n’ai donc toujours pas
recommencé depuis 8 ans ».
Ces deux exemples racontent deux
expériences opposées, deux vécus absolument antagonistes. Entre ces deux
femmes, il y a un monde. Et une foultitude de façons de voir la vie et de
concevoir sa place de femme dans la famille et dans la société.
Depuis que je l'ai interviewée, Marie a eu un
quatrième enfant. Et puis elle s’est installée comme auto-entrepreneuse dans le
secteur de la couture. Elle travaille à son rythme, au rythme de sa vie de
maman, entre les allers-retours à l’école – ses enfants ne mangent pas à la
cantine – et au gré des siestes de la petite dernière. Un
rythme qui, bien que fatigant, la comble. Elle est le pivot de sa tribu et
s’est trouvé une nouvelle voie, professionnellement parlant.
Un calcul que de nombreuses femmes
parmi mes interviewées ont fait. Vanessa a trois enfants. Pendant plusieurs
années, elle a travaillé dans le secteur bancaire, avec un bureau situé à une
cinquantaine de kilomètres de son domicile. Son mari, lui, travaille de nuit.
Vanessa a longtemps subi : un travail stressant, des trajets en voiture trop longs, des enfants fatigués car
confiés à une nounou trop tôt le matin et trop tard le soir, des fins de mois
difficiles à cause du salaire de la nounou, du prix de l’essence… A quoi
bon ? Après de longs mois passés à tergiverser, elle a pris sa décision,
elle allait rester à la maison. Il s’agissait pour elle d’en finir avec une vie
de course permanente, de fatigue et d’inquiétude. Et puis, comme Marie, elle
aussi a fini par s’installer en tant qu’auto-entrepreneur, créant sa ligne de
maroquinerie et de puériculture. Trois ans plus tard, il semble que son pari a
été le bon. Son entreprise tourne plutôt bien, son atelier de confection est à
son domicile, l’ambiance familiale s'est améliorée, elle est bien plus épanouie.
Financièrement, tout n’est pas réglé mais ce choix a été salvateur pour tous.
C’était un pari, c’était risqué mais à ce stade, cela valait la peine.
Ce choix est grosso modo le
mien : se débarrasser de contraintes chronophages – les temps de transport, entre autres
– et d’une forme de carcan – le monde l’entreprise. C’est faire le choix de
créer sa propre structure ou à tout le moins de n’avoir comme contraintes ou
limites que celles que l’on se fixe. C’est faire le choix de sa propre
organisation et d’en maîtriser les codes. C’est avoir la discipline nécessaire
pour mener de front sa propre activité professionnelle et sa vie de maman.
Ce choix-là n’est cependant
pas infaillible, loin s’en faut.
Il y a quelques mois, une ancienne
relation professionnelle m’a contactée : journaliste comme moi, cette
jeune femme était enceinte de son second bébé. Jusque-là salariée d’une agence
de presse, elle envisage de changer de mode de vie. Son travail est
stressant. Il faut écrire toujours
plus sans pour autant réduire la qualité des articles. Cette jeune femme se
pose donc la question de démissionner de son poste et de travailler en
freelance. Elle veut pouvoir maîtriser son temps de travail et maîtriser
l’énergie déployée, elle veut pouvoir se rendre disponible pour ses enfants,
les accompagner plus dans leur vie. Elle est lasse de cette vie
métro-boulot-dodo où l’on ne peut pas voir vraiment son enfant grandir, où l’on
ne partage avec lui que les corvées. Elle veut
lever le pied. C’est pourquoi elle m’a contactée. Elle sait que c’est aussi le
choix que j’ai fait. Mais elle hésite. Saura-t-elle avoir ce niveau
d’exigence envers elle-même, cette discipline qui consiste à s’obliger à un
certain rythme de bureau à la maison, pour ne surtout pas se laisser envahir
par les corvées ménagères pendant les heures dites de bureau. Ce choix-là, il
est vrai, n’est pas si facile à faire. Il faut avoir le tempérament nécessaire, pour s’astreindre à un rythme de travail. A contrario, il faut aussi
savoir décider que le temps pour la famille est sacré. Il faut éteindre son
ordinateur et son téléphone à une heure donnée, ne pas laisser le travail
envahir le temps pour la famille. Il faut délimiter son « temps de cerveau
disponible » et faire la part des choses.
Et puis, l'air de rien, il faut aussi s’asseoir sur
le confort qu’il y a à avoir un salaire qui tombe quoi qu’il arrive en fin
de mois. Car quand on fait le choix de travailler à domicile, que ce soit dans
la création textile comme Marie et Vanessa, dans le journalisme ou dans
n’importe quel autre domaine, quand vous ne travaillez pas, l’argent n’arrive
pas. Les temps de vacances doivent donc être anticipés, les arrêts maladie
n’existent pas, etc. Faire le choix de la liberté et du libre arbitre n’est
pas de tout repos et en aucun cas l’assurance d’une vie tranquille
et apaisée à tout moment.
Il n’empêche, chez chacune des femmes
qui se sont ouvertes à la confidence, j’ai observé une similitude frappante.
C’est généralement au décours d’une grossesse, à la faveur d’un congé
maternité, qu’elles ont choisi de réorienter leur vie, de revoir leurs
priorités. Dans son livre « Chez soi »[1],
la journaliste Mona Chollet évoque par exemple une de ses amies qui lui a
confié ceci , à propos de son congé maternité : « Il m’ a
apporté la possibilité de m’éloigner d’une certaine partie de ma vie et de
pouvoir y réfléchir, de « me poser ». Il est vrai que quand on est
dans la course, que l’on bosse pour une entreprise que l’on quitte chaque soir
pour endosser son costume de mère et d’épouse, on n'a guère le temps de se poser
ces questions.
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