mercredi 15 mars 2017

Les choix et les non-choix



Hélène a 39 ans, elle est mariée, maman de jumelles de deux ans et ne "travaille" pas. Elle est en congé parental. « Mère au foyer n’est pas un choix pour tout le monde », rappelle-t-elle. « Pour moi c’est un non-choix, une situation avec laquelle j’ai appris à vivre, mais j’espère sincèrement qu’elle évolue prochainement. Dans ma vie aujourd’hui, je ne fais pas vraiment ce dont j’ai envie, je fais surtout ce dont ma famille a besoin. Mais j’ai « l’impression d’être en prison chez moi ». Hélène est branchée commerce international. Jusqu’à la naissance de ses filles, elle sillonnait la planète. Avec un  mari ayant lui-même un poste avec des déplacements, la vie de famille est compliquée. Aucun système de garde satisfaisant ne permet à Hélène de reprendre le travail. Pas simple.
A l’opposé, Marie, maman de trois enfants, respire le bonheur. Quand on lui demande quelle est sa situation professionnelle, elle répond : « maman à temps plein, du lever jusqu’au coucher ». Elle raconte : « J’étais préparatrice en pharmacie avant d’avoir mon premier enfant, et j’ai arrêté de travailler à sa naissance. Initialement,  je pensais reprendre à temps partiel pour pouvoir profiter de lui tout en travaillant mais je me suis vite aperçue que j’allais avoir du mal à reprendre. Je n’ai donc toujours pas recommencé depuis 8 ans ».
Ces deux exemples racontent deux expériences opposées, deux vécus absolument antagonistes. Entre ces deux femmes, il y a un monde. Et une foultitude de façons de voir la vie et de concevoir sa place de femme dans la famille et dans la société.
Depuis que je l'ai interviewée, Marie a eu un quatrième enfant. Et puis elle s’est installée comme auto-entrepreneuse dans le secteur de la couture. Elle travaille à son rythme, au rythme de sa vie de maman, entre les allers-retours à l’école – ses enfants ne mangent pas à la cantine – et au gré des siestes de la petite dernière. Un rythme qui, bien que fatigant, la comble. Elle est le pivot de sa tribu et s’est trouvé une nouvelle voie, professionnellement parlant.

Un calcul que de nombreuses femmes parmi mes interviewées ont fait. Vanessa a trois enfants. Pendant plusieurs années, elle a travaillé dans le secteur bancaire, avec un bureau situé à une cinquantaine de kilomètres de son domicile. Son mari, lui, travaille de nuit. Vanessa a longtemps subi : un travail stressant, des trajets en voiture trop longs, des enfants fatigués car confiés à une nounou trop tôt le matin et trop tard le soir, des fins de mois difficiles à cause du salaire de la nounou, du prix de l’essence… A quoi bon ? Après de longs mois passés à tergiverser, elle a pris sa décision, elle allait rester à la maison. Il s’agissait pour elle d’en finir avec une vie de course permanente, de fatigue et d’inquiétude. Et puis, comme Marie, elle aussi a fini par s’installer en tant qu’auto-entrepreneur, créant sa ligne de maroquinerie et de puériculture. Trois ans plus tard, il semble que son pari a été le bon. Son entreprise tourne plutôt bien, son atelier de confection est à son domicile, l’ambiance familiale s'est améliorée, elle est bien plus épanouie. Financièrement, tout n’est pas réglé mais ce choix a été salvateur pour tous. C’était un pari, c’était risqué mais à ce stade, cela valait la peine.
Ce choix est grosso modo le mien : se débarrasser de contraintes chronophages – les temps de transport, entre autres – et d’une forme de carcan – le monde l’entreprise. C’est faire le choix de créer sa propre structure ou à tout le moins de n’avoir comme contraintes ou limites que celles que l’on se fixe. C’est faire le choix de sa propre organisation et d’en maîtriser les codes. C’est avoir la discipline nécessaire pour mener de front sa propre activité professionnelle et sa vie de maman.
Ce choix-là n’est cependant pas infaillible, loin s’en faut.
Il y a quelques mois, une ancienne relation professionnelle m’a contactée : journaliste comme moi, cette jeune femme était enceinte de son second bébé. Jusque-là salariée d’une agence de presse, elle envisage de changer de mode de vie. Son travail est stressant. Il faut écrire toujours plus sans pour autant réduire la qualité des articles. Cette jeune femme se pose donc la question de démissionner de son poste et de travailler en freelance. Elle veut pouvoir maîtriser son temps de travail et maîtriser l’énergie déployée, elle veut pouvoir se rendre disponible pour ses enfants, les accompagner plus dans leur vie. Elle est lasse de cette vie métro-boulot-dodo où l’on ne peut pas voir vraiment son enfant grandir, où l’on ne partage avec lui que les corvées. Elle veut lever le pied. C’est pourquoi elle m’a contactée. Elle sait que c’est aussi le choix que j’ai fait. Mais elle hésite. Saura-t-elle avoir ce niveau d’exigence envers elle-même, cette discipline qui consiste à s’obliger à un certain rythme de bureau à la maison, pour ne surtout pas se laisser envahir par les corvées ménagères pendant les heures dites de bureau. Ce choix-là, il est vrai, n’est pas si facile à faire. Il faut avoir le tempérament nécessaire, pour s’astreindre à un rythme de travail. A contrario, il faut aussi savoir décider que le temps pour la famille est sacré. Il faut éteindre son ordinateur et son téléphone à une heure donnée, ne pas laisser le travail envahir le temps pour la famille. Il faut délimiter son « temps de cerveau disponible » et faire la part des choses.
Et puis, l'air de rien, il faut aussi s’asseoir sur le confort qu’il y a à avoir un salaire qui tombe quoi qu’il arrive en fin de mois. Car quand on fait le choix de travailler à domicile, que ce soit dans la création textile comme Marie et Vanessa, dans le journalisme ou dans n’importe quel autre domaine, quand vous ne travaillez pas, l’argent n’arrive pas. Les temps de vacances doivent donc être anticipés, les arrêts maladie n’existent pas, etc. Faire le choix de la liberté et du libre arbitre n’est pas de tout repos et en aucun cas l’assurance d’une vie tranquille et apaisée à tout moment.
 

Il n’empêche, chez chacune des femmes qui se sont ouvertes à la confidence, j’ai observé une similitude frappante. C’est généralement au décours d’une grossesse, à la faveur d’un congé maternité, qu’elles ont choisi de réorienter leur vie, de revoir leurs priorités. Dans son livre « Chez soi »[1], la journaliste Mona Chollet évoque par exemple une de ses amies qui lui a confié ceci , à propos de son congé maternité : « Il m’ a apporté la possibilité de m’éloigner d’une certaine partie de ma vie et de pouvoir y réfléchir, de « me poser ». Il est vrai que quand on est dans la course, que l’on bosse pour une entreprise que l’on quitte chaque soir pour endosser son costume de mère et d’épouse, on n'a guère le temps de se poser ces questions.


[1] « Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique », Mona Chollet. Zones, 2015.

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