"Surtout, que mon sexe ne nuise pas à ma cause!" Quand Gisèle Halimi devient avocate, les femmes ne sont pas si nombreuses à exercer cette profession, a fortiori en Tunisie, où elle fait ses premiers pas professionnels. Dans "Une farouche liberté", récit de sa vie paru en août dernier, alors qu'elle vient juste de décéder, Gisèle Halimi raconte à la journaliste Annick Cojean qu'à ses débuts en tant qu'avocate, elle faisait tout pour faire oublier qu'elle était une femme "pour qu'ils m'écoutent", "pour qu'ils me prennent au sérieux". Elle précise : "C'est bien simple : au début de chaque plaidoirie, je savais qu'il me fallait compter dix minutes pour forcer l'attention des juges. Dis minutes de perdues, uniquement parce que j'étais une femme".
Mais Gisèle Halimi est pugnace. Entêtée diront certains. Elle assure : "je savais que je les aurais à l'usure. Qu'ils rendraient les armes devant ma compétence. Il fallait juste que je travaille. Que je travaille énormément. Des nuits entières". Gisèle Halimi est l'exemple même de ce que connaissent les femmes de manière générale : elles doivent travailler plus que les hommes pour espérer que leurs compétences et leur valeur soient reconnues. Et pourtant, on les renvoie systématiquement à leur sexe. Ainsi, quand l'avocate remporte une affaire, il se trouve toujours un confrère pour dire : "Qu'est-ce que vous voulez ! Elle est jeune, elle a du charme. Contre la séduction, nous autres, pauvres hommes, nous sommes bien peu de choses". A l'inverse, si elle perd un procès, on lui renvoie aussi son sexe en pleine face : "C'est une femme. Comment voulez-vous qu'elle comprenne quoi que ce soit à cette interprétation de jurisprudence ? Elle a été dépassée". Quoi que vous fassiez, quels que soient vos succès, on y trouvera toujours à redire sous prétexte de votre sexe. Le Général de Gaulle lui-même, lorsqu'il rencontre Gisèle Halimi en 1959, tombe les deux pieds dedans, en osant demander s'il faut l'appeler madame ou mademoiselle, ce à quoi Gisèle Halimi aurait répondu : "Appelez-moi maître, monsieur le président".
Si Gisèle Halimi est devenue avocate, elle ne doit sa réussite à personne d'autre qu'à elle-même, à son travail, à son volontarisme, à son acharnement. Et, au fond, sa propension à la justice et au féminisme n'est pas sans rapport avec sa prime enfance en Tunisie où il n'était pas du tout prévu qu'elle étudie. Ce n'était pas les plans que sa famille prévoyait pour elle. Née fille, il allait sans dire qu'elle serait avant tout une bonne maîtresse de maison et que donc, l'instruction ne présentait que peu d'intérêt. Ses frères iraient à l'école, feraient des études mais il n'en était pas question pour elle. A ceci près que la future avocate n'était pas de cet avis et qu'elle n'hésita pas à entamer une grève de la faim pour que ses parents cèdent et acceptent qu'elle fasse des études. Nul doute qu'ils n'ont pas eu à le regretter.
A lire :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire