vendredi 15 février 2019

On mettra son travail en doute, on questionnera la véracité des témoignages...

En ces temps de décrédibilisation du travail des journalistes - "tous des moutons", "la voix de son maître, "vendus",... - certaines enquêtes de la profession contribuent à rétablir une certaine aura à cette profession. Il y a quelques jours se tenait le procès de Denis Baupin. Ou plutôt non. Il s'agissait d'un procès en diffamation intenté par lui à l'encontre de deux journalistes et de quelques femmes qui, quelques années plus tôt, avaient dénoncé ses comportements de harceleur. L'affaire Baupin n'aurait peut-être jamais éclaté au grand jour sans le travail de Lenaïg Bredoux, journaliste à Mediapart et de l'un de ses confrères de France inter. L'un et l'autre ont eu vent des agissements de l'élu écologiste et ont fait le job. Ils ont enquêté, pendant des mois, minutieusement, chacun de leur côté, ajoutant des témoignages aux témoignages, qui accablaient toujours plus l'homme politique. Ils n'ont pas lâché le morceau. 

Le 13 mars prochain sortira sur les écrans de cinéma un documentaire de Naruna Kaplan de Macedo, intitulé "Depuis Mediapart". Ce film permettra de comprendre comment se prennent les choix journalistiques, comment une rédaction travaille. Il se trouve que Naruna Kaplan de Macedo filmait le quotidien de la rédaction de Mediapart au moment où Lenaïg Bredoux travaillait sur le sujet Baupin, au moment où elle a publié son enquête. Cette semaine, Naruna Kaplan de Macedo dévoile  une séquence d'un quart d'heure (à voir ici : Depuis Mediapart) où l'on comprend combien Lenaïg Bredoux a pris la mesure de la déferlante qui allait s'ensuivre, où l'on mesure le courage qu'il aura fallu à Sandrine Rousseau, à Isabelle Attard et aux victimes de s'exprimer. Il leur aura fallu, à toutes ces femmes, au moment où elles ont décidé de parler, anticiper tout ce qu'elles allaient devoir endurer ensuite. Lenaïg Bredoux sait d'instinct que certains lui diront : "qu'est-ce qui t'a pris ? Il a une femme, des enfants..." On mettra son travail en doute, on questionnera la véracité des témoignages, on mettra en cause l'avenir politique de ces femmes qui témoignent. Quel avenir pourraient-elles avoir au sein de leur parti politique, si elles en dévoilent les petits secrets ? Quel crédit leur accorder, si elles ont déstabilisées par un main aux fesses ou des sms graveleux ?

L'affaire Baupin va au-delà du sexisme et du harcèlement. Elle partage même un certain nombre de caractéristiques avec l'affaire Weinstein, avec la Ligue du LOL et autres boys clubs dénoncés ces jours-ci. Dans chacune de ces histoires, on sent la volonté de systématiquement imposer la toute puissance masculine, d'écraser les femmes et leur volonté d'émancipation, de décrédibiliser leur parole, de chercher à s'assurer que les hommes ont toujours la main, qu'ils peuvent décider du sort des femmes et des faibles comme bon leur semble. Dans ces affaires, on a porté atteinte aux carrières de ces femmes. Sandrine Rousseau a arrêté la politique. Les femmes journalistes sont toujours en bas de l'échelle dans les médias et avaient le sentiment de risquer leur avenir professionnel si elles parlaient. "Il faut de l'autonomie économique pour prendre la parole", dit la philosophe Geneviève Fraisse. A chaque fois, dans toutes ces histoires, c'est bien de cela qu'il s'agit : les femmes sont sous la coupe des hommes, leur avenir dépend d'eux. Alors, soit elles subissent en silence, auquel cas elles s'exposent à l'éventualité de subir toujours plus et d'être toujours l'être faible sur lequel on peut continuer de s'acharner, soit elles cherchent à parler, et alors on écrasera leur parole, on les décrédibilisera. L'issue ? La sororité pour reprendre un terme à la mode. Pour combattre l'entre-soi masculin, qui roule des mécaniques et joue les rouleaux-compresseurs, les femmes doivent se serrer les coudes et asseoir la légitimité de leur parole en s'écoutant les unes les autres. On retombe ici sur ce que j'écrivais hier à propos de l'étonnement des organisations syndicales, dans les années 70, quand les femmes choisissaient de s'organiser en dehors du syndicat pour tenter de trouver des réponses à leurs problèmes (lire ou relire : Les femmes feront les tâches subalternes ). 


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