"J'avais des tas de choses à dire, mais je m'exprimais à côté de gars qui en deux mots avaient tout dit (...). Quand ils avaient besoin de nous, ça allait, mais quand il fallait nous écouter, quand on donnait une idée, c'était terminé et nos idées ne figuraient nulle part". Ce sont les propos d'une ouvrière spécialisée, tenus lors d'un conflit social dans une usine française, au début des années 70, et rapportés par Geneviève et Thérèse Brisac dans les colonnes du Monde diplomatique, en août 1978 (lire ici : Les femmes dans les luttes sociales).
Les années 70 en France ont été le théâtre de nombreux conflits sociaux et, de façon inédite, des conflits où les femmes avaient a priori toute leur place, étant de plus en plus nombreuses à occuper des postes salariés. "Les conflits de ces dernières années montrent comme à la loupe des transformations qui se produisent dans la vie quotidienne des entreprises : des secrétaires refusent d'être les bonnes de leurs supérieurs; des ouvrières se mettent en grève pour obtenir le départ d'un chef qui prétend disposer sur elles d'un droit de cuissage", écrivent alors Geneviève et Thérèse Brisac. Le monde change. Les femmes conquièrent des droits qu'elles entendent faire appliquer. Besogneuses, elles n'en sont pas moins attachées à ce qu'on les respecte, à ce qu'on les écoute, à ce qu'on les entende. Et pourtant, elles découvrent l'ampleur de ce qui les attend : on est réticent à leur donner la parole, tout comme on hésite à les soutenir. "On a vu des groupes de femmes de grévistes se constituer pour soutenir leurs maris, jamais encore de comités de maris des femmes grévistes".
Au fond, ça arrange tout le monde cet état de faits. D'accord, les femmes peuvent travailler, tant que ça ne les empêche pas de tenir correctement leur maison et d'élever leurs enfants. Elles feront les tâches subalternes dans l'entreprise. "L'entrée des femmes dans une branche traduit la déqualification du travail, et le départ des hommes vers des activités plus qualifiées, mieux payées... et socialement valorisées", analysent les auteures de l'article. Le patronat y trouve aussi son compte, qui imposent peu à peu "la mobilité de la force de travail : il organise des formes de travail instables (intérim, contrats temporaires) qui facilitent le contrôle de la classe ouvrière et l'adaptation exacte du nombre d'emplois à la conjoncture. Les femmes sont une cible de choix pour ce genre d'innovations : grâce à leur double journée de travail et aux contraintes familiales qui pèsent sur elles, il semble possible d'en faire la main d'oeuvre mobile et inorganisée par excellence". En somme, les femmes constituent une main d'oeuvre corvéable à merci, une variable d'ajustement nécessaire, que l'on sous-paie. Elles ne sont pas entendues comme il le faudrait par les organisations syndicales, composées et dirigées essentiellement par des hommes, cela va de soi, qui s'étonnent qu'elles choisissent de s'organiser en dehors du syndicat pour tenter de trouver des réponses à leurs problèmes.
Découvrir et lire cet article du Monde diplomatique 40 ans après sa parution est assez incroyable et sidérant. On y lit ce qui ressemble à l'origine des difficultés des femmes dans le monde du travail. Il y a 40 ans donc, le monde du travail masculin a ouvert grand ses portes aux femmes pour mieux les contraindre, ne leur confiant que les tâches dont les hommes ne voulaient plus, avec des salaires moindres, des contrats précaires. Et, s'il ne les muselait pas, il ne les écoutait pas pour autant.
Dans le monde d'aujourd'hui, les syndicats sont toujours majoritairement dirigés par des hommes et au sein des entreprises, les emplois considérés subalternes sont encore généralement occupés par des femmes. Au fond, près d'un demi-siècle plus tard, la situation a-t-elle tellement changé ?
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