mardi 8 septembre 2020

Tout employeur y pense : si tu es une femme, tu vas enfanter et donc, t'absenter

Il y a quelques années, une chercheuse de mon entourage m'expliquait combien il était complexe d'exercer dans la recherche, en tant que femme. Dans ce monde-là, tu augmentes tes chances d'obtenir un poste en CDI si tu publies dans une revue scientifique. En début de carrière, donc, sauf coup de bol, tu navigueras de stages en CDD à répétition. Cela peut durer des années.

Admettons que tu parviennes à publier un article scientifique, tu ne seras jamais seule à signer le papier. Et le prestige de la publication reposera essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, sur le premier signataire de l'article. Si tu es junior, il y a de très fortes chances que tu ne sois pas le premier nom en bas de l'article. Donc, quand bien même l'étude serait excellente, ce n'est pas toi qui bénéficieras des lauriers. Et donc ta carrière peinera toujours à décoller.

A cela s'ajoute pour les femmes cette ambition possible de vouloir un enfant. Il va sans dire que comme dans tous les domaines professionnels, tu auras toujours cette suspicion au-dessus de ta tête : tout employeur y pense, si tu es une femme, tu vas enfanter et donc, t'absenter. Mais dans la recherche, si tu oses faire un enfant et que donc, tu t'absentes quelques mois, ton étude restera en plan et tu ne publieras rien. Si tu ne publies rien, tu te fais oublier et ta carrière végète...

Cette année, la situation empire.

Au cas où cela t'aurait échappé, pendant plusieurs mois, la vie de tout un chacun a profondément changé. Confinées à la maison, les chercheuses ont été rappelées à leur genre. Peu importaient leurs compétences, leurs sujets de recherche, on a surtout attendu d'elles qu'elles s'occupent de la progéniture, du logis, du frigo, de la machine à laver... Le reste attendrait. Le très sérieux The conversation l'assure : comparativement à la même période en 2019, ce printemps, des revues scientifiques ont observé une augmentation des contributions masculines et une diminution des articles soumis par des femmes, que ce soit dans les domaines de recherche liés à l'économie, aux sciences politiques, aux sciences sociales et même ceux de la médecine ou de la biologie. Selon ce média, "à long terme, les perspectives de carrière des chercheuses risquent d’être fortement impactées. Une réduction, voire une absence de soumission d’articles pendant le confinement, se traduira par des baisses de production scientifique dans deux ou trois ans. Il est fort probable qu’à ce moment-là, les instances d’évaluation des chercheuses en vue des promotions ne tiendront pas compte de la baisse de productivité pendant le confinement, tant cela semblera loin dans le passé. L’écart existant entre hommes et femmes dans les promotions vers le grade de professeur pourrait ainsi se creuser".

 

L'envers du décor, c'est que dans le même temps, ce qui s'est joué pour la carrière des femmes depuis le printemps dernier n'a peut-être pas servi la cause de leurs homologues masculins. En effet, certaines revues scientifiques commencent à être pointées du doigt pour le manque de rigueur qui les aurait caractérisées cette année. Depuis mars dernier, le travail des comités de lecture des publications scientifiques a sans aucun doute été altéré lui aussi du fait du confinement. Mais des petits malins en ont profité pour les décrédibiliser, ou en tout cas pour questionner leurs méthodes. Ainsi, trois scientifiques et un philosophe ont rédigé un article canular qu'ils ont soumis à une revue scientifique. Le comité de lecture de la revue a validé leur "étude", laquelle a été publiée. Partant de l'étude de février dernier de Didier Raoult et titrée "Coronavirus : moins de morts que par accident de trottinette", les quatre auteurs du canular ont soumis un article intitulé : "Contrairement aux attentes, le SARS-CoV-2 plus létal que les trottinettes : est-ce-que l'hydroxychloroquine pourrait être la seule solution ?" Leur étude était évidemment fantaisiste, ne reposant sur rien de sérieux, et ils ont poussé le bouchon jusqu'à signer leur article de la main de Antoine de Caunes, Didier L'Embrouille et Nemo Macron - du nom du chien du président de la République. Ils ont trouvé le moyen de glisser la fameuse réplique de Jean-Claude Dusse, "sur un malentendu, ça peut passer". Et de fait, c'est passé. L'article a été publié.

L'aurait-il été s'il avait été signé par des femmes ? Compte tenu de la remise en question des revues scientifiques cette année, les publications masculines de 2020 seront-elles mises en doute ou continuera-t-on de considérer que le nombre de publications scientifiques est le gage du sérieux du chercheur qui peut alors prétendre à promotion ?

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