jeudi 28 février 2019

Viol : si vous vous comportez comme il faut, il ne vous arrivera rien...

Mi-janvier, lors du procès dit du quai des Orfèvres, la défense des policiers accusés du viol d'une touriste canadienne a cherché à savoir quelle était la tenue vestimentaire de cette jeune femme. Portait-elle des bas, des collants, des talons hauts, le soir des faits ? Certains professionnels de la justice vous diront que ce sont des questions classiques, visant à contextualiser les choses. D'autres, tels que Valérie Rey-Robert vous expliqueront qu'il s'agit-là d'une parfaite démonstration de ce qu'est la culture du viol à la française. "Interrogées sur leur tenue, leur attitude, leur sourire, leur comportement, elles (les victimes de viol, ndlr) en viennent quasi inévitablement à se sentir coupables d’un crime dont une seule personne est pourtant responsable : celle qui l’a commis", écrit  ainsi Valérie Rey-Robert, auteure de "Une culture du viol à la française - Du troussage de domestique à la liberté d'importuner", paru la semaine passée aux Editions Libertalia.

Dans cet ouvrage où elle rappelle que 98% des violeurs, en France, sont des hommes, elle déconstruit cette espèce de culture patriarcale selon laquelle seule une femme qui se conduit mal peut être violée. Par opposition : si vous vous comportez comme il faut, alors il ne vous arrivera jamais rien. En d'autres termes : si on vous viole, c'est que vous l'avez bien cherché... De surcroît, souligne-t-elle, "presque un tiers des Français pensent que si les hommes sont plus à même de commettre des viols, c’est à cause de la testostérone qui peut rendre leur sexualité incontrôlable". C'est bien connu, les pulsions, ça ne se contrôle pas.

Editions Libertalia- février 2019


L'enquête Virage (Violences et rapports de genre) menée par l'Ined en 2015 a révélé qu'il y aurait 52.000 femmes victimes de viol par an en France et pas moins de 370.000 tentatives de viol. A cela, il convient d'ajouter les agressions sexuelles autres que le viol. Au total, selon cette enquête, 580.000 femmes âgées de 20 à 69 ans seraient victimes d'agressions sexuelles chaque année, en France. Plus d'un demi-million de femmes... chaque année... rien qu'en France.


Selon Valérie Rey-Robert, cet état de faits résulte en bonne partie de la manière genrée dont on continue d'éduquer les enfants. Elle écrit : "Notre société attend que les hommes soient dominants et les femmes soumises, qu’ils soient agressifs et qu’elles soient inoffensives, qu’ils soient solides et qu’elles soient fragiles, qu’ils soient courageux et qu’elles soient peureuses". D'ailleurs, on observera que l'on n'apprend pas aux filles à se défendre. On leur apprend à anticiper le danger, à ne pas sortir seules, on leur apprend à fuir.

L'auteure poursuit : "Dès la naissance – et parfois même avant si l’on sait le sexe –, les parents projettent des attentes différentes sur le nouveau-né. Ainsi, alors que rien objectivement ne le justifie, la nouvelle-née est décrite comme plus petite, plus douce, plus fine et moins attentive que le nouveau-né. Les parents vont souvent attendre de leur fils qu’il soit indépendant, ambitieux et travailleur et de leur fille qu’elle soit gentille et attirante". C'est cliché, et tellement vrai. Pour elle, continuer d'élever nos enfants ainsi entretient la culture du viol. C'est asseoir les stéréotypes en vigueur. Si bien que les hommes continuent d'adopter une posture de dominant. Les femmes, toujours considérées soumises, n'ont pas voix au chapitre. C'est alors qu'intervient la question du consentement, dont il a beaucoup été question depuis l'affaire Weinstein. Selon l'adage, "qui ne dit mot consent". Mais quid de l'écoute si la femme exprime son non-consentement. "Quand elle dit non, c'est qu'elle pense oui", entend-on.

A ce propos, Valérie Rey-Robert explique : "Fonder le viol sur l’idée que c’est un rapport sexuel dans lequel un des deux partenaires n’a pas consenti implique davantage l’idée de se questionner sur le comportement de la victime que sur celui du violeur. Quels signes a-t-elle donnés de son non-consentement? Étaient-ils assez explicites? C’est donc sans aucun doute un piège de réfléchir sur le viol en ces termes-là. Le viol est un rapport de force sexué où l’un ne tient pas compte de la volonté de l’autre; c’est donc bien le violeur dont il faut questionner les actes et pas la victime. Comment s’est-il assuré qu’elle était consentante? Comment l’a-t-il conclu?"

Et quel crédit accorde-t-on à la parole des femmes qui se disent victimes d'agressions sexuelles ou de viols. Là encore, depuis l'affaire Weinstein et avec les différents hashtags créés dans son sillage (#balancetonporc, #metoo,...), on a bien vu que la parole des femmes, même si elle se libère, est mise en doute. Selon Valérie Rey-Robert, les premières réactions d'Emmanuel Macron et de Edouard Philippe ont été de "faire attention aux possibles mensonges, aux exagérations probables et à ne pas empêcher toute possibilité de séduction entre hommes et femmes; ces opinions très communément partagées et faisant partie des idées reçues sur le viol contribuent juste à éviter que les victimes parlent et portent plainte". Elle ajoute : "Depuis, le réalisateur Luc Besson a été accusé par plusieurs femmes de viols et agressions sexuelles et cela a eu très peu de retentissement en France, y compris dans les médias, à tel point que le New York Times s’est interrogé sur « le silence du cinéma français ». Les acteurs Gérard Depardieu et Philippe Caubère ont également été accusés sans qu’à aucun moment il y ait une couverture médiatique comparable à celle pour Weinstein aux États-Unis. En revanche, lorsque l’actrice Asia Argento, fer de lance de #metoo, fut à son tour soupçonnée, le Tout-Paris médiatique et réactionnaire fit des gorges chaudes de l’accusation. Encore une fois, on constatait avec ces réactions le mépris pour les victimes de violences sexuelles".

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