Faut-il chercher à tout avoir ? Depuis le début des années 2010, sous l'impulsion notable de Sheryl Sandberg (lire notamment ici : "Si vous ne postulez pas, vous n'aurez pas le job"), on nous serine à nous, les femmes, que nous pouvons tout avoir, que nous pouvons être ambitieuses, carriéristes et quand même avoir des enfants que nous élèverons sereinement. Est-ce que c'est vrai, est-ce qu'il est vraiment possible de tout avoir ? Un job en or avec des perspectives excitantes, une personne idéale avec qui l'on partage notre vie, une santé de fer, un cadre de vie idyllique, des enfants beaux, intelligents et en bonne santé, du temps pour se cultiver, pour voyager, une alimentation saine et équilibrée, des rêves à atteindre,... ? Est-ce que c'est cela "tout avoir" ? Le confort logistique, intellectuel, financier, familial ? Et si nous avions tout, à quoi rêverions-nous ? Notre ambition doit-elle être de tout avoir, ou d'avoir assez ? L'ambition saine ne serait-elle pas simplement au fond d'avoir ce qui suffit à notre bien-être et notre bonheur ? "On peut définitivement avoir assez sans avoir tout", affirme ainsi la psychanalyste américaine Jeanne Safer dans sa contribution à l'ouvrage collectif "Ils vécurent heureux et n'eurent pas d'enfants".
Ils vécurent heureux et n'eurent pas d'enfants, éditions Kero. Parution : janvier 2019. |
Quant à l'auteure Pam Houston, elle y écrit : "Je ne crois pas que tu puisses tout avoir. Je ne pense pas que quiconque le puisse. En fait, je pense que l'expression même tout avoir est non seulement un mythe, mais aussi un symptôme de combien nous sommes malades dans notre culture contemporaine. Personne ne peut tout avoir, même pas Donald Trump. Tu auras une chose ou une autre en fonction du choix que tu feras. Ou tu auras les deux choses dans des quantités limitées, et cela pourra se révéler parfait, exactement la vie que tu veux".
L'idée de "tout avoir" n'est-elle pas liée à cette culture de la consommation à outrance dans laquelle nous sommes tous baignés, de plus en plus ? "Tout avoir", pour en faire quoi, au juste ? "Tout avoir" pour faire comme tout le monde, pour suivre les diktats du moment, ne pas être hors-jeu, ne pas rester au bord du chemin ? Etre ambitieux parce que c'est ce que l'on attend de toi ? Avoir des enfants, parce que tout le monde en a ? La possibilité de tout avoir est intéressante, en ceci qu'elle ouvre le champ des possibles, qu'elle nous offre des choix. Elle élargit nos horizons, ouvre grand les portes de nos rêves. Mais dans cette possibilité, se cache la nécessité pour tous d'opérer des choix : dans l'absolu, on peut tout avoir mais dans le concret, on ne peut pas avoir tout. Quand Pam Houston a découvert qu'elle était enceinte sans l'avoir souhaité, à l'âge de 29 ans, son premier livre devait sortir. Elle annonce la nouvelle à sa mère qui lui dit : "Tu as un talent très spécial Pam, et si tu décides de garder ce bébé, tu vas devenir parfaitement ordinaire, exactement comme le reste du monde". Aujourd'hui, Pam Houston sait que compte tenu des "pressions de l'industrie de l'édition", si à l'époque elle avait choisi de ne pas avorter, il est plus que probable que sa carrière aurait été très différente. La romancière Sigrid Nunez ne rappelle-t-elle pas aussi dans cet ouvrage collectif : "Aucune jeune femme aspirant à une carrière littéraire ne devrait ignorer que les femmes écrivains les plus accomplies, des femmes comme Jane Austen, les soeurs Brontë, George Eliot et Virginia Woolf, n'avaient pas d'enfants. Colette, qui écrivait magnifiquement et de façon pénétrante au sujet de sa propre mère, donna naissance à une fille non voulue qu'elle négligea" ?
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