mercredi 4 juillet 2018

De la norme procréative au burn-out parental

Un signe des temps. Un énième indice de la standardisation des comportements et de notre habitude à nous fondre dans le moule, à faire comme tout le monde. Alors qu'il y a un an, le monde médiatique se focalisait sur la charge mentale, en ce début d'été 2018, à l'approche des grandes vacances, on lit une kyrielle d'articles relatifs au burn-out parental. Des parents se sentent épuisés, physiquement et moralement, ne parviennent plus à s'occuper de leurs enfants sereinement, se sentent totalement submergés par la tâche qui leur incombe. Ils craquent.

Si l'on regarde froidement les choses, on peut se dire qu'il semble totalement aberrant que des parents puissent subir tout cela, étant entendu que la Nature étant ce qu'elle est, les humains ont toujours eu des enfants. Pourquoi serait-ce plus difficile aujourd'hui qu'hier ?

Si difficulté il y a, elle est sans doute à rapprocher de la possibilité offerte depuis quelques dizaines d'années de maîtriser notre fécondité. Depuis les années 70, avec les lois relatives à l'accès à la contraception et à l'avortement, notamment, il est acquis que les femmes ont des enfants quand elles le décident. Le retour de bâton est donc celui-là : si nous décidons le moment où nous aurons des enfants, alors cela implique que nous ayons des enfants quand toutes les conditions requises sont là pour que cela se passe bien. Professionnellement, financièrement, moralement, nous devons être prêts à accueillir nos bébés. "La possibilité d'avoir un enfant au moment désiré ne fournit pas nécessairement un cadre moins contraignant à l'exercice de la maternité", écrivaient Nathalie Bajos et Michèle Ferrand dans la revue Sociétés contemporaines en 2006. Pour elles, "dans la mesure où il devient possible d'éviter d'être enceinte et de refuser de poursuivre une grossesse en recourant à l'IVG, il importe, plus que jamais, que les conditions les meilleures soient réunies pour avoir un enfant. C'est le respect de ces conditions, socialement définies, que nous nommons "norme procréative"



Avant les années 70, les enfants arrivaient quand ils arrivaient, on les acueillait et on s'en occupait sans se poser trop de questions. Peu importaient les conditions. Depuis cette période-là, c'est toute la philosophie de la procréation qui a été bouleversée et la conception des enfants est désormais préparée, réfléchie, décidée. Ainsi que l'écrit Elisabeth Badinter dans "Le conflit - la femme et la mère", la liberté générée par l'accès à la contraception "s'est révélée source d'une forme de contradiction. D'une part, elle a sensiblement modifié le statut de la maternité en impliquant des devoirs accrus à l'égard de l'enfant que l'on choisit de faire naître. De l'autre, mettant fin aux anciennes notions de destin et de nécessité naturelle, elle place au premier plan la notion d'épanouissement personnel". Si vous êtes devenus parents et que vous ne vous sentez pas épanouis, il y a un souci quelque part.

Et puisque vous avez décidé d'être parents, votre choix s'accompagne inéluctablement de devoirs. Il ne suffit plus d'être parents, il faut être de bons parents. Si les choses sont plus compliquées qu'imaginé, si la parentalité ne s'accompagne pas d'un épanouissement et d'un bonheur délirants, si un grain de poussière vient gripper les rouages de votre vie, c'est donc votre faute pleine et entière : vous n'aviez pas suffisamment préparé l'arrivée de bébé. Ce n'était pas le bon moment. Du coup, le burn-out vous guette, vous perdez pied... La société vous en intime l'ordre : vous devez être des parents heureux, votre progéniture doit être bien dans ses baskets, votre vie de famille doit être riante, vous n'avez aucune raison de craquer.

Lire aussi :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire