jeudi 16 septembre 2021

Mieux vaut un bad buzz que pas de buzz du tout

Ce qui me vient à l'esprit, là tout de suite, c'est l'expression "la police de la pensée". Au fond, de nos jours, les débats tournent régulièrement aux procès d'intention, façon café du commerce. Je lis ça et là que les auditeurs de longue date de la matinale de France inter se détournent de cette radio de service public parce que les invités sont abjects, qu'on y cherche le buzz comme dans certaines chaînes info de la télé. Léa Salamé et Nicolas Demorand seraient trop complaisants, on les voudrait rentre-dedans... Bon. En l'occurrence, on leur reproche d'avoir invité Alain Finkielkraut hier matin et de l'avoir laissé délirer sur sa vision du féminisme. Est-ce qu'on les félicite d'avoir invité Christine Taubira, Édouard Louis et Audrey Diwan les jours précédents ? Non évidemment. Au fond, il en va de France inter comme de la SNCF : on ne parle que des trains en retard et des invités nauséabonds. Oublierait-on que le principe du service public, c'est quand même d'élargir le spectre des propositions, d'ouvrir grand le champ des possibles, même si cela signifie tendre le micro à des types à la pensée rabougrie comme Finkielkraut ? 

Je n'avais pas écouté l'émission en direct. Je viens donc de le faire en replay. Évidemment, Finkielkraut - qui est de la génération qui peut tout à fait avoir eu son diplôme de philosophe dans un paquet de lessive Bonux - me donne à moi aussi la nausée. L'entendre geindre autour de l'idée du "bégaiement invraisemblable de l'écriture inclusive" me met en colère. Constater qu'alors qu'on l'interroge sur la littérature aujourd'hui, il ne répond pas à la question et bascule directement sur le féminisme, m'interroge. Ce type-là est obsessionnel. Mais après tout, pourquoi faudrait-il le boycotter ? Pourquoi n'aurait-il pas le droit, comme n'importe quel auteur, de venir faire la promo de son dernier livre sur les antennes de radio ? Une chose est sûre : s'il vous énerve quand il s'exprime dans les médias, il y a peu de risques pour que vous achetiez son bouquin. So what ? On a bien mis des mois avant d'écarter de CNews Eric Zemmour qui pourtant était très clairement en campagne depuis au moins le printemps dernier. 

 

Pourquoi ne pas laisser s'enfoncer dans son caca Alain Finkielkraut qui continue de soutenir mordicus que "l'ordre patriarcal est derrière nous", qu'avec la PMA, "l'homme est devenu facultatif dans la filiation" et qu'après tout, depuis qu'elles ont le droit de divorcer, le droit d'avorter, le droit de travailler, les femmes sont devenues totalement libres ? Le bougre va jusqu'à dire : "quand la femme était rivée à son foyer, l'amour ne pouvait pas se prolonger au-delà d'un printemps fugace". Autrement dit : bobonne au foyer n'était pas très excitante. Les femmes sont tout de même plus intéressantes aujourd'hui, même si elles sont de mauvaises gagnantes à ses yeux, donc. On notera d'ailleurs que la seule auditrice qui a pris la parole pendant cette émission a attaqué frontalement Finkielkraut sur sa vision archaïque des femmes et déploré le fait que Léa Salamé et Nicolas Demorand ne lui avaient pas apporté la contradiction.

Bon. Finkielkraut a 72 ans. A mesure que le temps passe, reconnaissons-le, son pouvoir de nuisances diminue. Quel courant de pensées incarne-t-il ? La vieille France à papa. De ma fenêtre, il serait plus inquiétant que des hommes plus jeunes que lui prennent sa suite, tels des fils spirituels, pour lancer sur des plateaux télé qu'ils violent leurs femmes tous les soirs (lire ou relire : Quand la violence s'empare du prime time). Il serait plus inquiétant de trouver des personnalités publiques vanter les écrits et les idées de Finkielkraut. Sauf erreur de ma part, il n'y en a pas. Au fond, on l'invite encore un peu pour amuser la galerie, comme on agite un chiffon rouge devant un taureau. Et ce qui est tragique, c'est que ça fonctionne. Dans le monde d'aujourd'hui, mieux vaut un bad buzz que pas de buzz du tout. Et c'est je crois ainsi qu'il faut voir les invitations faites à Finkielkraut de s'exprimer dans les médias.

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