jeudi 14 janvier 2021

L'écriture pour rompre le silence des violences

Depuis le mouvement #MeToo, on n'a jamais autant écrit sur les violences faites aux femmes et peu à peu sur les violences tout court, sur le patriarcat, sur le secret des relations sexuelles, sur l'emprise et le silence. Il y a eu "la fabrique des pervers" de Sophie Chauveau en 2016, "Le consentement" de Vanessa Springora l'an passé, de même que "Un si long silence" de Sarah Abitbol, "Je suis une sur deux" de Giulia Foïs, entre autres. Autant de récits qui ne sonnent pas comme des règlements de compte, mais comme la volonté pour des femmes de rompre le silence, de raconter pour prévenir. Souvent, il est reproché aux autrices de ces livres de chercher à se faire de l'argent sur leurs histoires personnelles, de vouloir faire le buzz, alors qu'elles auraient du porter plainte, dénoncer quand il était temps, pour faire condamner les hommes qui leur ont fait du mal.

Camille Kouchner n'échappe pas à la règle quand elle dénonce aujourd'hui son beau-père, Olivier Duhamel, d'avoir abusé de son frère jumeau dans les années 80. Il y a prescription, il ne peut plus être condamné. Pourquoi avoir attendu trente ans pour en parler ?, lui reproche-t-on. Il faut lire son livre pour comprendre. Ou regarder son passage dans l'émission La grande librairie (à voir ou revoir ici : émission du 13 janvier 2021). Elle y explique le contexte familial de l'époque : un père - Gérard Kouchner -, absent, une mère - Evelyne Pisier - qui va mal, suite aux suicides de ses parents. Le frère jumeau de Camille, victime d'Olivier Duhamel, se confie à sa sœur mais lui demande de ne rien dire. Il ne veut pas que ça se sache. Et Camille obtempère. Aujourd'hui, elle dit : "personne ne pose de questions, alors c'est facile de se taire". D'autant qu'Olivier Duhamel est un homme charmant, il remplace le père absent, pallie les faiblesses de la mère, il est brillant, il est entouré d'intellectuels stimulant... Qui pourrait imaginer qu'il puisse faire du mal à un enfant ? Et puis à l'époque, on ne parle pas de ces sujets-là. Camille et son frère ne sont que des enfants, sous l'emprise de cet homme.


 Aujourd'hui, Camille Kouchner explique que tous les récits publiés ces dernières années l'ont aidée. Devenue adulte, ayant des enfants, elle a pris la mesure de ce qui est arrivé à son frère, elle a compris qu'ils s'étaient enfermés dans le silence et que désormais, il fallait sortir de cela. Elle s'est tour à tour envisagée témoin, victime et coupable dans cette histoire. Au fond, dit-elle, ne pas désigner, c'est participer. Ne pas dire, c'est être en partie coupable. Juriste, elle explique : "j'ai fait du droit, j'aurais pu utiliser cette voie. Mais c'est l'écriture qui me libère". Le philosophe Jacques Derrida disait que ce que l'on ne peut pas dire, il ne faut pas le taire, mais l'écrire. Ces récits publiés en nombre ces dernières années ont la vertu de permettre à leurs autrices de sortir du silence, de crever l'abcès, tout comme ils aident d'autres victimes à parler et la société entière à prendre conscience de ce qui se trame dans le secret des maisons. D'aucuns dénoncent une forme de voyeurisme quand il faudrait plutôt y voir une thérapie de groupe, une volonté collective de lutter contre ces violences inadmissibles et impardonnables, un combat commun pour décrire le monde et le corriger. Il ne vous aura pas échappé que Sophie Chauveau, Vanessa Springora, Sarah Abitbol, Giulia Foïs et Camille Kouchner sont des femmes. Quels hommes, quels auteurs pour rejoindre cet élan ?

 

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