jeudi 13 septembre 2018

Université d'été du féminisme : les tops et les flops du jour 1

Dans la vraie vie, quand on va à l'Université, on assiste à des cours magistraux bien sûr, mais on a aussi des TD, des cours où l'on échange, etc. Mais à l'Université d'été du féminisme, rien de tout cela. Ce sera des cours magistraux, point.

A commencer par celui de Marlène Schiappa elle-même. Madame la secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes a introduit comme il se doit l’événement, commençant par répondre au Canard Enchaîné qui dénonçait une Université d'été ayant coûté la modique somme de 300.000 euros. "Je suis très fière que cet évènement coûte cher", balance Marlène Schiappa. "Je suis allée chercher le budget et on me l'a accordé". Ce sur quoi elle n'a pas tort : on ne s'offusquerait pas d'un événement coûteux s'il s'agissait d'économie et d'industrie, pourquoi faudrait-il s'excuser de monter un évènement féministe coûteux ? 

La secrétaire d'Etat a par ailleurs souhaité éteindre les polémiques autour des personnalités qu'elle a choisi d'inviter - Elisabeth Lévy, Peggy Sastre,... - en s'en prenant au camp d'en face : "Soyons unies dans nos différences. Parce qu’en face, les ennemis des droits des femmes, eux, s’unissent contre nous pour la circonstance". Et de dénoncer ceux qu'elle appelle "les obscurantistes", parmi lesquels le docteur Bertrand de Rochambeau, président d'un syndicat de gynécologues, qui assimile les IVG à des homicides, ou encore Donald Trump. Appelant les femmes à poursuivre leurs combats, elle considère qu'il est légitime d'être ambitieuse et indignée. "On n'a pas obtenu le droit de vote en battant des cils et en s'excusant de déranger", insiste-t-elle.

Unies, soit. Mais l'auditoire n'est pas tout à fait d'accord pour accepter n'importe qui dans le mouvement. Aussi Elisabeth Lévy s'est-elle fait légèrement huer par la salle lorsqu'elle a proclamé : "La condition des femmes n'a rien à voir avec le discours victimaire véhiculé par #MeToo". Une femme dans la salle de crier : "Tu vis sur quelle planète ?"

Peggy Sastre, de son côté, n'a suscité aucune réaction tant ses propos étaient sans conviction ni intérêt quelconque. Pour un peu, elle se serait presque excusée d'avoir la parole. Peu claire, elle a tenté d'expliquer que la fameuse tribune du Monde sur la liberté d'importuner (lire ou relire Où l'on comprend le rôle de Catherine Deneuve dans l'affaire) était "née d'un sentiment d’étouffement". "On regrettait qu'il n'y ait pas de nuance dans le débat", se justifie-t-elle. Sans plus.

La palme revint donc à Raphaël Enthoven, comme on aurait pu l'anticiper. A la question qui lui était posée : "Peut-on parler de féminisme quand on est un homme ?", il ne répond pas. Il ne parle pas de féminisme, il ne parle pas d'émancipation des femmes, il parle de lui et de lui seul, il cite ses propres écrits et n'a de cesse de psalmodier à l'envi des phrases sans fin, s'écoutant déclamer, sans aucune considération pour les personnes qui l'écoutent, n'acceptant pas qu'on essaie de réagir dans la salle. Il s'autorise un long monologue. Il n'est pas venu parler de féminisme, il est venu parler de lui et des polémiques qui le concernent. Il n'a pas participé à un débat, il a dispensé un cours magistral. Lorsque quelqu'un tente de parler, il balance : "je vais finir et après vous pourrez m'interrompre". Il finit et s'en va, sans laisser de place aux échanges.

De toutes façons, d'échanges, il n'y aura point. Personne dans la salle n'a eu la possibilité d'en placer une de la journée, aucun micro n'a circulé. Il fallait écouter la bonne parole, sagement.

Fort heureusement, certaines interventions ont été salutaires. Ainsi Irène Théry, directrice de recherches à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, selon qui "nous voulons qu'une femme puisse exprimer son désir et pas simplement être l'objet du désir". Ainsi le brillant magistrat Edouard Durand qui défend "un grand principe de civilisation : l'interdit de la violence". Pour lui, "la civilisation, c'est refuser collectivement de nuire à l'autre". Ainsi le capitaine de police Laurent Boyet pour qui "MeToo ne fait pas peur aux hommes, il fait peur aux agresseurs". Ainsi la réalisatrice Ovidie qui se décrit comme une "féministe non-excluante" - pour elle, on peut être femme voilée et féministe, travailleuse du sexe et féministe - qui insiste sur la notion de consentement. Tout comme Grégoire Théry, directeur exécutif de CAP international (coalition pour l'abolition de la prostitution), pour qui néanmoins le consentement ne suffit pas. Encore faut-il que ce soit un réel consentement. Se résigner à pourra être perçu comme un consentement. Pourtant, "se résigner à, ce n'est pas consentir".

Le souci, c'est que les encourageants échanges de ces personnes seront oubliés sur l'autel des polémiques incessantes sur qui a le droit de se revendiquer féministe ? C'est quoi un.e féministe en 2018 ? Comme le disent certains sur les réseaux sociaux, inviter Enthoven à s'exprimer devant des féministes, c'est comme inviter un raciste à parler devant des anti-racistes. Ca n'a pas de sens. Ca nuit au projet de départ. D'autant plus quand, comme c'était le cas aujourd'hui, il n'y a pas de débat - pas de réponse possible à Enthoven ou Lévy -, pas d'échanges, mais une succession d'exposés. C'est dommage...

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