jeudi 17 mars 2022

Derrière leur maquillage et leurs lèvres refaites...

"Il était assis non loin du coin squatté par les prostituées, les vraies. Celles-là appartenaient aux meubles. Avant la guerre, elles guettaient les businessmen allemands ou polonais. La clientèle avait changé, mais les filles gardaient le même air distant et lointain, indéchiffrables derrière leur maquillage et leurs lèvres refaites. Une brune à longue queue-de-cheval adressa un regard à Henrik. Interrogateur. L'air farouche du flic pouvait signifier tout et son contraire : j'ai besoin de me décharger vite fait ; n'essayez même pas d'approcher".

En lisant ce paragraphe hier soir, sans comprendre d'abord pourquoi, mon esprit a vrillé vers Alice Coffin. J'ai posé mon livre et j'ai réalisé que je pensais à elle parce qu'elle déclarait, en 2020, à la faveur de la sortie de son essai "Le génie lesbien", qu'elle ne lisait plus de livres écrits par des hommes, exprimant le souhait de se passer de leur regard sur le monde.

Hier soir donc, plongée dans la lecture de "Donbass", le roman du journaliste Benoît Vitkine, qui raconte la dureté de la vie en Ukraine il y a quatre ans, j'ai compris que ce qui me dérange depuis le début de ma lecture de ce livre, ce n'est pas la réalité de ce qu'il décrit. C'est précisément pour cela que je lis ce livre, pour tenter de mesurer ce que ce doit être de vivre là-bas, dans cette région du monde en proie aux combats depuis plusieurs années, dans ce pays en guerre depuis plus de trois semaines. Ce qui me dérange, c'est la façon dont Benoît Vitkine parle des femmes. Dans "Donbass", les femmes sont soit des putes, soit de vieilles et pauvres mères de famille au visage ridé qui ont perdu leur fils au combat. Une seule femme échappe à ces caricatures, l'épouse du héros. Mais d'elle, Vitkine ne dit pas grand-chose. Elle reste énigmatique, en marge du récit. 

Benoît Vitkine
 

Les femmes : des putes ou des mères. On en est toujours là. Partant, je mesure le choix de Alice Coffin. Non que les écrits de Benoît Vitkine soient emblématiques de tous les écrits masculins. Mais tout de même. On ne trouverait pas de telles caricatures de femmes dans des romans écrits par des femmes.

Je précise que je n'ai rien contre Benoît Vitkine, si ce n'est cette vision réductrice et misogyne des femmes. J'ajoute que son roman "Donbass" est important et j'encourage vivement à sa lecture, pour ce qu'il raconte de cette région. Simplement, comme tant d'autres auteurs, Benoît Vitkine contribue à cette vision du monde où les femmes ne seraient là que pour satisfaire les appétits sexuels des mâles dominants et pour pleurer les garçons morts. Une vision bien étriquée où seuls les hommes peuvent être aux commandes. Une vision qui, en y repensant, n'est pas sans me rappeler ce qui circulait il y a quelques jours assez largement sur les réseaux sociaux, dans les premiers jours de la guerre. On y voyait une jeune femme magnifique et peu vêtue - c'est un euphémisme - et le message disait "adopte une Urkrainienne"...

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