mardi 6 mars 2018

Charge mentale : la double journée des femmes décrite il y a plus de 30 ans

Courir devant le train, être overbookée, sous l'eau, avoir un planning de ministre, devoir se référer à son agenda, constamment.
Depuis une quarantaine d'années, nous en sommes là. Nous avons chargé la mule tant et plus, ajoutant au travail domestique, au soin des enfants, la charge professionnelle. Les responsabilités se sont ajoutées aux responsabilités, les engagements aux engagements. Gagnant en indépendance, les femmes ont perdu en temps. "Si les femmes ont inventé la notion de double journée, c'est bien parce que quelque chose d'une double exploitation-domination se joue simultanément, ici et là, pour elles", écrivait en 1984 la sociologue française Monique Haicault dans Sociologie du travail, "La gestion ordinaire de la vie en deux".

Chemin faisant, les femmes sont devenues de véritables gestionnaires, faisant la chasse aux gains de temps, s'imposant une autodiscipline à toute épreuve pour tout mener de front. "L'enjeu consiste à organiser, donc faire tenir ensemble, les successions de charge de travail, de les imbriquer, de les superposer, ou, au contraire, de les désimbriquer, de fabriquer des continuités : sortes de fondus enchaînés, de jouer sans cesse sur ce qui marche ensemble et ce qui est incompatible", écrit encore la sociologue qui utilise alors la notion de "charge mentale". Et d'ajouter : "pour peu qu'un évènement de l'histoire familiale augmente cette charge, on observe immanquablement que les femmes y répondent, soit en jouant sur leurs entrées-sorties de la scène professionnelle, soit en augmentant leur charge de travail domestique".

Quoi qu'il arrive, les femmes assurent, assument, contraignant le temps, rognant d'un côté, ajustant de l'autre, jouant la montre, calculant l'incalculable. La charge mentale, assure Monique Haicault, est "lourde aussi de ces minuscules censures qui se disent dans un simple et si fréquent : "je n'ai pas le temps". Et la "double journée", ce ne sont pas deux journées qui se font suite et s'enchaînent, ce sont parfois des engagements et responsabilités qui se superposent, des complications qui font qu'une de ces journées est amenée à empiéter sur l'autre. Les deux existences des femmes - la sphère de la production (le monde de l'entreprise) et celle de la reproduction (la vie de famille et ses contingences domestiques) -, rassemblées sous cette notion de "double journée", ne sont pas séparables. L'une a forcément des implications sur l'autre et vice versa. "C'est dans la simultanéité que réside la spécificité de la charge mentale et non dans l'addition de types d'activités ou de services", analysait la sociologue en 1984, assurant que l'attribution de cette charge ne cesse d'incomber aux  femmes, "malgré un éventuel partage des tâches".

1984, il y a 34 ans.
La donne est-elle si différente aujourd'hui ?

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