vendredi 15 décembre 2017

Syrie : le viol, une arme de guerre massive

Depuis toujours, on le sait, sur les terrains de guerre, les hommes - des hommes, devrais-je dire -  se sentent tout puissants, invincibles. Et l'expression du pouvoir passe par leur volonté de faire leurs les corps des femmes qu'ils croisent sur leur passage. Les femmes deviennent des proies. Elles sont violentées et violées. En Syrie, depuis le printemps arabe qui a bouleversé nombre de pays, en 2011, c'est la guerre. Et pour l'armée de Bachar El-Assad, le viol est devenu une véritable arme de guerre, massive, sans pitié.

La journaliste Manon Loizeau est l'auteure d'un film documentaire qui a été diffusé en début de semaine sur France 2 (en deuxième partie de soirée, évidemment...) : "Syrie, le cri étouffé". Elle donne la parole à des femmes syriennes en exil, qui décrivent les viols qu'elles ont subis, et racontent la guerre, leur guerre. Sans voix-off, le film ne donne à voir que ces femmes, parfois filmées dans l'ombre, de façon anonyme. Elles expriment l'indicible, se souviennent de leur vie d'avant, quand elles étaient heureuses. Depuis le début de la guerre, leur vie a basculé dans l'horreur. Pour avoir traversé une rue au mauvais moment, pour avoir un mari, un père ou un frère dans la révolution, pour avoir simplement soigné des blessés, ces femmes sont arrêtées et emprisonnées, puis soumises au plaisir des soldats. 50.000 femmes auraient été arrêtées et emprisonnées depuis le début de la guerre, explique Manon Loizeau.

Dans ce film, les femmes racontent comment, du jour au lendemain, leur monde s'est écroulé, comment, quand elles entendent que des soldats ont arrêté une femme, elles lui souhaitent de mourir, plutôt que d'avoir à subir ces viols. Elles racontent la peur, la douleur, l'humiliation, l'insoutenable. "Le viol, le régime l'a utilisé pour briser l'homme syrien", explique une femme militaire qui a déserté. Selon elle, "tout citoyen engagé dans la révolution a eu une des femmes de sa famille envoyée en détention. Le message est : soit tu te rends, soit on garde ta femme, ta fille, chez nous".

Ces femmes sont violées à tour de rôle par des soldats, elles doivent parfois assister, impuissantes, au viol d'autres détenues. Mariam raconte avoir du regarder une amie, enceinte de sept mois et demi, pendant qu'on la violait : "ils l'ont tellement violée qu'elle a accouché. Elle a accouché sous mes yeux". Elle poursuit : "chaque jour, c'était la même chose. Coups le matin et viols le soir"

Et puis, peu à peu, le viol est sorti des prisons. Les soldats se sont mis à entrer dans les maisons et violer les femmes qui s'y trouvaient, peu importe qui, peu importe quand, peu importe où. Fouzia raconte que lorsque les soldats sont entrés et ont jeté leur dévolu sur ses filles - elle en avait huit -, elle a ouvert sa veste et leur a dit qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient d'elle mais qu'ils devaient laisser ses filles tranquilles. Ils l'ont violée mais ont également violé et égorgé plusieurs de ses filles devant elle. "Je me suis livrée à eux et ça n'a pas suffi", pleure-t-elle. Actuellement en exil, elle ne tient que pour ses enfants encore vivants.

S'ils viennent arrêter un combattant chez lui et qu'il ne s'y trouve pas, les soldats ont pour "mission" de violer la femme de cet homme recherché et de lui faire parvenir une video de ce viol, pour l'humilier, humilier toute sa famille. Parce que le viol, c'est aussi cela : une façon de briser les familles. Le viol sème la honte : les femmes violées sont souvent rejetées par leurs maris, par leurs parents. Elles sont parfois assassinées par leur propre famille. Le mari de Mariam a demandé le divorce, parce que sa femme a été violée, maintes et maintes fois. Mariam vit en exil avec ses quatre enfants, sa vie est brisée... sa seule "faute" ayant été de porter secours à des personnes blessées, d'avoir fait preuve d'humanité. 

"Nous avons payé de nos vies, de notre dignité. Notre avenir s'est envolé", résume Mariam. Puis elle s'emporte : "Ne venez pas nous parler de l'ONU, des droits de l'Homme ou de Genève ! Je ne crois plus en personne : ça fait 5 ans qu'on lance des appels (...). On ne demande pas d'argent, on demande à être libérées". Et de conclure : "On se fait filmer et on sait que les gens vont regarder le film et partir. Ils seront un peu troublés puis vont vite nous oublier. Souvenez-vous de ce que je vous dis. Ils vont regarder le film, se lever et continuer leur chemin"...


Ce documentaire de Manon Loizeau peut être regardé en replay sur France 2, ou bien sur Youtube, ici : Syrie, le cri étouffé

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