jeudi 9 mars 2017

Où il est question de choix...



J’avais 12 ans lorsque le métier de journaliste a commencé à me faire les yeux doux. C’était en 1989. L’année de la chute du mur de Berlin. J’aimais écrire, j’aimais les mots. Devenir journaliste, observer et raconter le monde, soudain, me semblait une voie toute tracée. Quelques années plus tard, je découvrais Dorothée Olliéric, ce grand reporter incroyable dont j’allais pouvoir admirer le travail au gré des conflits çà et là sur la planète. Mon projet professionnel, alors que je n’étais qu’une adolescente, était clair : j’allais devenir reporter de guerre. J’en étais intimement convaincue et c’était décidé, je ferais ce qu’il faut pour y arriver.
Mais c’était sans compter avec le fait que, quand on est né femme, aller risquer sa vie à l’autre bout de la planète peut sembler un peu en contradiction avec le fait d’avoir des enfants. En tout cas selon l’image que j’avais du rôle de mère. Vie professionnelle hyper stimulante et excitante versus vie rangée ou en tout cas stable pour élever des enfants dans des conditions qui me semblaient essentielles, les années passant, je me suis rendue à l’évidence, à ce qui me semblait évident, et j’ai « choisi ». J’allais devoir trouver un emploi de journaliste sans trop de déplacements, avec des horaires convenables et tant qu’à faire, sans travailler le week-end. Tel était le cahier des charges de l’emploi qu’il me fallait trouver. Et j’ai trouvé. Dans la presse spécialisée. Les jobs se sont succédé, avec leur lot de plaisirs et de petites contrariétés.
Pendant ce temps-là, Dorothée Olliéric poursuivait sa mission, et en chemin, rencontrait l’homme qui allait désormais partager sa vie, et avec lequel elle a eu deux enfants. Elle combinait les deux : un job extraordinaire et une vie de famille stable. Une vie que j’aurais pu avoir si je ne m’étais pas créé des freins là où elle devait considérer qu’il n’y en avait pas. Aurais-je été capable de vivre la vie de Dorothée Olliéric ? Il me plait à penser que oui, sans doute, mais aurais-je été heureuse ? Aurais-je été tranquille d’être loin de mes enfants ? Me connaissant, vraisemblablement pas. Donc va pour la presse spécialisée. C’est dans ce contexte que je me suis mariée, que j’ai eu un premier enfant, puis un second, et un troisième. Et c’est quand mon troisième bébé est né que j’ai commencé à me dire que le métier que je faisais, dans les conditions dans lesquelles je le faisais, ne me convenait pas, ne me convenait plus. J’avais beau être devenue pigiste - c’est-à-dire pas rattachée à une rédaction particulière et donc, a priori, aux désirs d’un rédacteur en chef -, j’avais beau du coup être maîtresse de mon temps et dans une certaine mesure, des sujets que je traitais, au bout du bout, je n’étais pas satisfaite. J’avais mis mon ambition de côté le temps de fonder ma famille et maintenant, qu’allais-je faire ? Etais-je heureuse ? Épanouie ? Où était cette carrière de reporter de guerre dont j’avais rêvé ?
Faisant le tour de mes amies, je constatais avec stupéfaction qu’aucune n’avait la vie dont elle avait rêvé, aucune n’était devenue ce qu’elle avait imaginé, aucune ne se disait objectivement heureuse et épanouie. Alors quoi, nos mères et nos grands-mères se seraient battues des années durant en vain ? Elles auraient obtenu tant et tant sans que cela change quoi que ce soit pour la génération suivante, pour  leurs filles, pour nous ? S’étaient-elles trompées en chemin ? Avaient-elles clos le sujet trop tôt ? S’étaient-elles leurrées ? Nous avaient-elles leurrées ? Ou bien étions-nous les responsables de cette situation ? Avions-nous baissé les bras et oublié les combats de nos grands-mères ? Que pensaient-elles de nous ? Et, de l’autre côté du miroir, quel projet avait-on de notre côté l’intention de laisser à nos filles ? Quelles armes pouvait-on leur léguer, leur mettre entre les mains ? Comment leur faciliter le chemin ? Quel avenir leur proposer ?

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