jeudi 17 décembre 2020

Division sexuée des rôles dans la société : le poids des choix politiques

Pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit, il faut parfois se retourner vers le monde dont on vient. Interviewée il y a quelques jours par Binge audio autour de la question du congé paternité*, l'économiste Hélène Périvier a longuement décrit pourquoi l'organisation du travail en France est encore aujourd'hui largement fondée sur une division sexuée des rôles. L'histoire économique à la française montre un ancrage important des femmes dans les tâches consistant à s'occuper des dépendants tandis que les hommes sont "plus tournés vers la sphère publique". Au XIXè siècle, à la faveur de la révolution industrielle, cette organisation prend des proportions plus importantes encore. De plus en plus de Français ne travaillent plus là où ils habitent. Or, comment s'occuper des enfants quand on doit aller travailler dans les usines ? Pour résoudre cette équation, on a créé des injonctions : les femmes devaient s'occuper des enfants et les hommes devaient être les gagne-pain. Dans ce contexte, on voit émerger le concept d'instinct maternel que nombre d'intellectuels ont ensuite déconstruit et décrit comme une invention pensée pour contraindre les femmes à rester près des enfants.

 

Puis est arrivé le XXè siècle et son lot de guerres ruinant les efforts précédents. Dans un contexte de population déclinente, des politiques sociales ont émergé. Il fallait encourager la natalité. Pour Hélène Périvier, il est intéressant de comparer les choix opérés par la France et ceux de la Suède. Dans les deux pays, on observe la même nécessité de pousser la population à faire des enfants. Mais la méthode choisie est différente. En Suède, on considère que pour accroître la natalité, il faut "socialiser le coût de l'enfant", permettre aux gens d'avoir des enfants financièrement. Pour eux, cela passe par le travail et l'émancipation des femmes. Avec deux salaires à la maison, il est plus facile d'avoir des enfants. En France, on considère à l'inverse que pour que les femmes puissent avoir de nombreux enfants, il faut qu'elles puissent ne pas travailler. On met alors en place les allocations familiales. Il s'agit d'une politique fondée sur l'idée que "l'unité de base est la famille". L'allocation va venir soutenir le revenu des ménages, leur permettant de n'avoir qu'un seul salaire. On institutionnalise alors la division sexuée des rôles, alors même que l'intention était de procéder à une redistribution des richesses. En effet, au moment de la révolution industrielle, il n'y a guère que dans les familles riches que les femmes pouvaient ne pas travailler. A l'époque, le fait que madame ne travaille pas était un signe d'aisance financière. Les politiques sociales du XXè siècle entendent corriger cela et redistribuer les richesses. Si l'intention était louable, elle nourrissait le storytelling selon lequel les femmes étaient plus aptes à s'occuper des enfants. De quoi faire observer à Hélène Périvier qu'il y avait là un mélange d'assujettissement des femmes à un rôle de mère tout en appuyant le fait qu'il s'agissait d'un rôle très important et d'une organisation bénéfique aux enfants. Dans le même temps, les politiques de protection sociale mises en place permettaient à monsieur de cotiser, ce qui lui ouvrait des droits sociaux dont il faisait bénéficier son épouse inactive. Ce faisant, on renforçait l'idée de l'homme gagne-pain et de chef du foyer. Incorrigible patriarcat !

Si, dès la mise en place de ces politiques natalistes et familiales, on n'avait pas opéré de division sexuée des rôles, si l'on avait simplement considéré qu'il fallait encourager l'un ou l'autre des parents à s'occuper des enfants, sans considération de sexe, que se serait-il passé ? Des hommes seraient-ils restés en nombre à la maison tandis que leur épouse partait à l'usine ? Notre modèle actuel d'organisation de la société serait-il différent ? Comment ne pas voir que si les femmes peinent à ce point à avancer dans les hiérarchies des entreprises, limitées par le plafond de verre, cela a à voir avec ce storytelling, cette propagande d'une efficacité redoutable du siècle dernier ?

* Un podcast à écouter ici : Congé paternité, le miracle ?

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